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vendredi 24 février 2012

Shining - VI - Klagopsalmer

Enfin ! Le moins qu’on puisse dire est qu’il se sera fait attendre, ce sixième album de Shining. Problème divers, soit-disant d’enregistrement, de mixages, plus probablement un peu de tout mais surtout des mésententes avec Osmose Productions, le label de ce sixième volume de la déchéance entrepris par le désormais célèbre Niklas Kvarforth. Le problème quand on attend trop longtemps un album est qu’on finit par l’imaginer et au final par être déçu lorsqu’il arrive concrètement. Qu’en est-il de ce nouveau cru ? Essayons de décortiquer tout cela.

Un petit mot sur l’artwork pour commencer, qui pour une fois n’a pas été réalisé par Kvarforth lui-même, mais par Erik Danielsson de Watain. Une vieille bâtisse industrielle laissée à l’abandon dans un bien piètre état : reflet de l’âme créatrice du combo ? Peut-être aussi simplement la pochette vient-elle refléter l’univers de l’album, atmosphère de destruction et de poussière, de rage et de désespoir : Klagopsalmer pouvant se traduire par « psaumes de lamentations », on saisit mieux la pochette et son univers de ruine. Et les deux visages faméliques à l’intérieur du livret ne viennent pas contredire cette sensation.

Pour ce qui est de la composition, il faut noter l’investissement toujours plus poussé des autres musiciens du groupe. A savoir que Kvarforth a demandé à ses deux guitaristes de composer chacun un morceau, Graby composant le troisième titre et Huss le dernier (les lyrics revenant au maître de la horde). Le quatrième morceau, quant à lui, se retrouve composé par un certain Siegman, et là je ne puis qu’annoncer le manque de fiabilité de la source m’ayant fournit l’information, mais il s’agirait en réalité d’une reprise d’un groupe de rock Norvégien (Siegman), dont Shining aurait ici repris le morceau Ohm (il semble qu’il y ait eu une erreur de frappe dans le livret). Au final, on remarquera que les morceaux les plus étranges de l’album sont ceux que Kvarforth n’a pas composés lui-même. Manque d’inspiration ou réel volonté ? La question n’est sans doute pas la bonne, mais serait plutôt de savoir comment ces compositions s’intègrent dans l’univers si particulier de Kvarforth, j’y reviendrais un peu plus tard.

Rentrons à présent dans le vif du sujet. La première chose qui frappe, d’entrer de jeu, c’est le riffing qui semble très « heavy », ça sonne beaucoup plus rythmé que les précédentes réalisations. Les solos accentuent cet effet, ça sollote dans tous les sens, parfois de manière mélodique, parfois au contraire de façon plus expérimentale et a-mélodique, pour un rendu assez barré. On oscille donc entre expérimentation et passage digne des plus grands groupe de heavy (écouté moi ce solo sur le troisième titre avant le passage instrumentale…). Quoi qu’il en soit les deux guitaristes assurent et savent se servir de leur manche. Que les effrayés se rassurent, on retrouve cependant toujours les riffs typiquement estampillés Shining, en lame de rasoir et oppressant au possible. Mais il faut bien l’avouer, ils n’ont plus la place prédominante qu’ils avaient avant, ils se font discrets, voire même disparaissent complètement sur certains morceaux. Pareillement, on retrouvera parsemés le long de l’album les arpèges si spécifique du groupe, que ce soit sur une guitare sèche ou avec un simple son clair. On retrouvera également des influences bluesy comme on en trouvait déjà sur le précédent opus, mais sans doute de manière plus légère cela dit.

Une autre nouveauté vient cependant titiller nos oreilles : la présence de clavier, plus ou moins discret, mais qui n’échapperont à personne : cette sonorité distordue qui confère à la musique une atmosphère de bizarrerie. On trouvera également xylophone, violon et piano, notamment sur le morceau final.

Le jeu de batterie est très bon, créatif, varié, bien présent, les fûts sont martelés avec acharnement et ça tape dure, ce qui renforce l’agressivité des morceaux. La batterie sait aussi se mettre en retrait, on n’est pas dans la démonstration, et si l’on pense au dernier titre, elle accompagne à merveille l’ensemble sans en faire de trop. La basse m’a semblé plus discrète sur cet album, on la remarquera dans une sonorité méconnaissable pour du Shining, avec un son très épais et saturé, ce qui dénote clairement des anciennes compos.

Enfin, les voix sont plus largement usées par ce génial vocaliste qu’est Kvarforth, notamment sa voix claire, pour un rendu tout à fait magnifique. On retrouve également ses vocaux vomitifs amplis de dégoût, de rage et de tristesse mêlés. Il est d’ailleurs intéressant de noter l’évolution des vocaux au fil des albums, atteignant sur ce sixième opus un panel très large de possibilité, permettant l’expression au plus juste de sentiments variés.

Dans une interview accordée à Metallian, plutôt brève et donc forcément peu intéressante, Kvarforth décrit cet album comme étant plus noir, plus obscur, plus sinistre, plus malsain, avec des sous-entendus plus sombres, que les autres réalisations. Qu’en est-il donc ? Il faut bien avouer qu’aux premières écoutent on se sent un peu perdu. L’album est bon, c’est indéniable, mais on reste sur sa fin pour un Shining. Les expérimentations, saillantes sur l’opus (notamment du fait des titres non composés par Kvarforth), détourne l’auditeur de ses attentes et le laissent perplexe quand à ce qu’il doit ressentir et comprendre. Un avis mitigé émerge donc, et l’on se surprend à se dire que Shining n’est peut-être plus Shining.

Pourtant, pour peu qu’on arrive à s’y plonger, on finit par découvrir une logique, froide et imparable, qui nous conduit à ce vers quoi Shining à toujours souhaité nous amener : le dégoût de toute chose, y compris de soi-même. Les premiers morceaux sont agressifs, complètement angoissés et démentiels, dans un registre sonnant nettement black metal angoissant propre à Shining et poursuivant l’évolution musicale du combos, avec cette touche de démence que l’on voit émerger surtout depuis le formidable Halmstad (et le titre « Låt Oss Ta Allt Från Darandra » par exemple). Le troisième morceau est la pierre angulaire de l’album, on sort du registre proprement black pour rentrer dans une expérimentation qui peu dérouter, le morceau étant à la fois très agressif mais aussi emprunt d’une tristesse tout à fait apparente avec son arpège certes simple mais qui vient appuyer là où ça fait mal. Une sensation de capharnaüm, un maelstrom de sentiments inverses qui perturbe l’esprit et ravage la pensée.

C’est ainsi qu’émerge le quatrième titre, affirmant la rupture de par son innovation musicale dans l’univers du combo. Un morceau rock, presque « pop », bien loin des territoires du black si ce n’est l’introduction. La mélodie étrange, presque joyeuse, contraste avec le refrain où pointe désarroi et désillusion, un sentiment de résignation nous rend visite et ne nous quittera désormais plus. La rage des premiers morceaux s’éteint pour laisser place au renoncement. Le temps d’une pause, d’une réflexion, d’une contemplation de notre parcours au travers de cet atmosphère morbide distillée par cette simple guitare sèche (cinquième morceau), et nous voici au final de l’album, véritable agonie. Le premier riff reprend le troisième titre de l’album II et le premier du V (au titre également proche d’ailleurs…). On trouve aussi, sur ce premier riff, une sonorité comparable au riff intermédiaire de Neka Morgondagen (Halmstad), ce son très épais, d’une lenteur quasi doomesque (tout en restant dans les sphères du black, soit dit en passant), accompagné par la voix plaintive et ampli de dégoût du sieur Kvarforth. Au final on s’approche d’avantage de quelque chose touchant au dark metal (je ne fais pas référence ici à Bethlehem). Le morceau se pare de partie instrumentale, les notes s’égrènent sur l’ébène et les violons pleurent, puis survint ce terrible riff de reprise, d’une fatalité quasi absolu, une souffrance sublimée tant cela semble insoutenable et beau à la fois, une mélancolie largement palpable, accentuée par ces solos grandioses qui accompagnent à merveille ces sensations. J’émettrais cependant une critique sur ce morceau, qui malgré les écoutes reste insatisfaisant, il manque un je ne sais quoi dans ce final pour qu’on atteigne l’apothéose, comme cela était le cas pour le précédent album ou encore le tout premier. Un manque de cohérence peut-être, quelques longueurs également, quoi qu’il en soit c’est ici le seul bémol de l’album, mais qui malheureusement lui empêche de rivaliser sérieusement avec Halmstad, celui-ci restant supérieur à ce Klagopsalmer.

Au final, l’album en déroutera plus d’un c’est certain, même si l’on a indéniablement affaire ici à du grand art : un véritable travail de composition se révèle lorsqu’un ose pénétrer l’infamie. Shining ne s’est jamais enfermé dans les carcans d’un quelconque style, il compose au gré de ses envies. On se retrouve ainsi aujourd’hui avec un album plus metal que black en soi, mais qui ne rejette pas pour autant ses origines. Shining évolue, le temps du premier album et de son black suicidaire quelque peu conventionnel au niveau de la composition (mais non moins excellent) laisse aujourd’hui place à un metal travaillé et torturé à la fois, un mélange de démence, de rage et de tristesse extrême. La nocivité et la destruction reste toujours entièrement présente, moteur indestructible du combo, même si les voies d’expression diffèrent et s’élargissent, puisque Kvarforth délègue une partie du processus de composition de son art à ses musiciens. La suite dira si cette évolution parviendra à retenir notre attention…

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