lundi 24 septembre 2012
Citation d'un certain E.M. Cioran
"Exister est un phénomène colossal - qui n'a aucun sens. C'est ainsi que je définirais l'ahurissement dans lequel je vis jour après jour. "
jeudi 13 septembre 2012
Author & Punisher - Ursus Americanus
Dès la première écoute, je fus complètement
retourné. Piétiné. Réduit à néant. Lorsque la platine s’arrêta, je me retrouvai
presque hagard, dans un silence insupportable qui ne rendait que plus réel ce
qui venait de se passer. Tel fut le puissant impact de ce Ursus Americanus,
découvert par hasard lors de quelques errances cybernétiques.
C’est en creusant un peu plus que je me suis rendu
compte que le type aux manettes de « Author & Punisher », Tristan
Shone, est un génie. Mais le genre de génie un peu barré, fou même. Une sorte
d’autiste qui baigne dans son univers bien à lui, au point d’inventer ses
propres ustensiles pour faire du bruit. Un peu comme si une victime fabriquait
ses propres engins de tortures. C’est d’ailleurs ce que l’on peut observer sur
la pochette, qui de prime abord est un peu énigmatique : des machines
bizarres, que le sieur manipule on ne sait vraiment comment. Le plus incroyable
dans tout ça est qu’à l’écoute de l’album, la pertinence de ces créations
étranges est évidente. La cohérence et la force du propos nous éloigne
d’ailleurs de l’aspect « expérimentale » en son versant négatif,
c'est-à-dire tout ce qui constitue des tentatives de se rendre intéressant par
des moyens farfelus sans qu’il n’y ait de réelle démarche et/ou de résultat.
Avec Author & Punisher, on est au contraire dans quelque chose de totalisant,
la démarche s’appréhendant dans sa globalité, de la création des machines au
contenu même de la musique.
Côté référence, on oscille entre différents genres
musicaux susceptibles d’offrir ce qu’il y a de plus horrible. En vrac, on croit
entendre de l’indus, de la noise, du doom, du trip-hop, du « freak
dub », le tout forniquant joyeusement ensemble dans une partouse impie.
Mais si cette musique est aussi intense, c’est bien parce qu’elle ne se
rattache jamais à l’un ou l’autre des genres cités, elle se nourrit de tous
certes, mais reste tout à fait unique, à tel point qu’il est parfois difficile
de savoir exactement à quoi on a affaire. N’est-ce pas là que se situe justement
la création ?
Ursus Americanus est une œuvre tortueuse et
fondamentalement douloureuse, elle est archaïque et flirt sans scrupule avec
les tréfonds de la folie mentale. Les compositions sont extrêmement froides,
sans mélodie, sans rien à quoi se raccrocher ; elles fondent sur
l’auditeur avec fracas, lui triturant la cervelle et jouant avec ses nerfs avec
une satisfaction quasi morbide. Chaque « son » est parfaitement
atroce, quasi insupportable, y compris ces voix électriques et ravagées hurlant
comme des damnées en proies aux pires tourments. Même les parties plus posées
sont inquiétantes et sans espoir.
L’œuvre pourra paraître difficilement abordable,
elle n’en reste pas moins extrêmement efficace. Sans fioriture, du brut de
décoffrage, du directe dans ta face, tellement crade et dangereux que tu ne
peux qu’y revenir.
Quelques vidéos pour vous donner une idée :
JK Flesh - Posthuman
JK Flesh est arrivé un peu sans prévenir, sans grosse publicité annonçant la sortie imminente du machin pendant des mois, sans présentation enjoliveuse et grandiloquente. C’est sans aucun doute la notoriété de Justin K Broadrick, l’homme derrière ce projet, qui a fait office de propagande, car il y aura toujours quelqu’un pour se tenir au courant des derniers projets du sieur pour relayer l’info.
Ainsi donc Broadrick a-t-il abandonné pour un temps au moins son Jesu
essoufflé et tellement repassé qu’il en est devenu insipide (je pense ici au
dernier album qui ne m’a laissé aucun souvenir, c’est dire), pour se consacrer
à un nouveau projet, venant s’ajouter aux (très) nombreuses formations auxquels
il a participé, de près ou de loin. Pour la petite histoire, JK Flesh est le
pseudonyme utilisé par Broadrick pour son projet Techno Animal.
La curiosité comme le doute nous envahissent toujours un peu quand on
découvre ce à quoi l’infatigable de Birmingham c’est attelé. Aurons-nous droit
à un proche de Jesu, guitare saturée d’effets en tout genre et ambiance
« -post », ambient minimaliste à la Final, retour aux sources
Godfleshienne ? Eh bien pas de surprise, on se place très nettement à côté
de Godflesh et de Techno Animal, comme si les démons indus et électro l’avaient
de nouveau titillé. La surprise de cette sortie laisse donc place à une
exaltation non feinte, due au plaisir d’entendre Broadrick redonner libre cours
à ses idées technoïdiques et bruitistes.
Le résultat est plutôt satisfaisant, on se laisse aisément prendre dans
l’univers sombres développé dans ce Posthuman. Broadrick est toujours aussi
brillant pour construire des morceaux efficaces, prenants et intenses sans
tomber dans la facilité. Il se montre également très pertinent dans
l’utilisation des sons, chacun trouvant sa place dans la cacophonie globale,
chacun étant aussi très bien travaillé, de manière à être percutant et évitant
ainsi l’écueil de bien des compositeurs électro qui utilisent moults sons même
pas travaillés qui sonnent bien fades.
Les références sont variées, et si l’on pense à Godflesh et Techno
Animal, ce n’est pas uniquement car il s’agit du même compositeur, mais bien
parce que ce Posthuman poursuit ce qui a été abordé avec ces deux formations.
On croise aussi ici où là quelques plans à la Greymachine (toujours rien
d’étonnant donc). On croirait même parfois entendre du dub step, mais de
manière très subtile et sans que cela ne sonne « j’en-fait-parce-qu’-i-n’-en-veulent ».
Globalement, on pourrait même penser qu’avec ce nouveau projet Broadrick
synthétise ce qu’il a pu expérimenter ici ou là, il rassemble ses idées pour
tenter de construire quelque chose avec tout ce qu’il possède.
JK Flesh nous propose donc un album honnête, efficace, tout à fait
sérieux de bout en bout. Pourtant, malgré la qualité indéniable de l’œuvre, on
ne tressaute pas de joie, on ne se roule pas par terre en hurlant, et sans
aller jusqu’à dire que nous restons de marbre (car ce n’est pas le cas), on
finit par se demander quand même ce qu’on tient dans la main. Tout est là pour
avoir un objet majeur, mais on passe tout de même à côté du « truc »
qui amènerait ce sentiment de toucher à quelque chose d’unique, de
transcendant, ce que nous ressentons toujours ou avons ressentis à l’écoute des
albums clés de nos discographies. La raison n’est peut-être pas si
compliquée : Posthuman ne se distingue pas tant que ça, il ne marque pas
les esprits. Si on se le remet aisément dans les écoutilles, il semble ne pas
vraiment y avoir de passage essentiel sur l’album, rien qui n’accroche
réellement ou qui sorte vraiment du lot.
L’ambivalence me gagne donc lorsque j’évoque cet album, car j’ai autant
envie de le défendre que de l’oublier, je le conseille tout en précisant que ce
n’est pas l’album du siècle. Mais après tout, est-ce bien ce que j’attendais de
la part de Broadrick ? Pas nécessairement. Alors, pourquoi pas.
mardi 4 septembre 2012
Verdunkeln - Weder Licht Noch Schatten
S’il y a bien un groupe de black metal qui retient
encore mon attention aujourd’hui, c’est Verdunkeln. J’apprécie bien d’autres
choses dans le style, mais il s’agit souvent d’entités musicales qui
s’éloignent fortement des critères « classique » du genre (non que ce
soit un problème cela dit).
Le cas Verdunkeln est différent, car leur musique
reste au fond relativement conventionnelle pour le style. Pourtant, le groupe
parvient encore aujourd’hui à retenir mon attention, même si les
« nouveautés » black metallique me laissent de plus en plus
indifférent, voire sceptique quant à la pérennité de ce genre musicale.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Verdunkeln
est un groupe discret, chose que j’avais déjà pu repérer lors de leurs
précédentes sorties. Rappelons-le, Verdunkeln a d’abord sorti une première démo
en 2005, remarquable en dépit d’un son médiocre, puis un brillant premier album
en 2007. Il aura donc fallu attendre cinq ans pour que le combo nous ressorte
enfin du nouveau son. Quand on connaît la durée de vie de certains groupes de
metal, cinq années, ce n’est pas rien (n’est pas Darkthrone qui veut…). De quoi
passer à la trappe. D’ailleurs, c’est par un pur hasard que je suis tombé sur
leur nouvel album, persuadé que j’étais que le groupe s’était arrêté. Il faut
dire que la sortie de l’album s’est faite subtilement, sans grand bruit ni
matraquage mercantilique.
Chroniquer cet album m’est difficile. En effet, on
pourrait globalement dire que le groupe nous propose la même recette que sur
leur précédente galette, sans réel changement, sans ligne directrice
différente, sans évolution majeure. A tout le moins faut-il bien reconnaitre
que l’angoisse du « retour après cinq années d’absence » est vite
estompée, on ne se retrouve pas avec un album qui n’a plus rien à voir avec ce
que faisait le groupe avant et qui laisse sérieusement à désirer (si si, ça
arrive). On retrouve ainsi un black metal atmosphérique tout en mid-tempo, au
blast discret, présentant le même type de construction des morceaux que leur
dernier opus : des riffs qui plantent l’épaisseur du décor accompagnés par
diverses mélodies qui créent toutes cette atmosphère si particulière. Le son
est également du même genre, sorte de marque de fabrique du groupe, à la fois
froid et humide, comme si nous errions dans une forêt aux premières lueurs de l’aube.
A peine quelques éléments ici où là sonnent-ils plus novateurs, de quoi
différencier les albums pourrait-on dire en étant mauvaise langue. Le chant,
par exemple, m’est apparu encore plus varié, partant d’une base black classique
(plus ou moins hurlé) et n’hésitant pas à se faire plus clair, voire même
chuchoté, ce qui renforce souvent la force des compositions. Les paroles en
allemand vient apporter à certain moment un côté martial qui étrangement ne fait
pas tâche avec le reste.
Mais alors qu’a-t-on au juste ? Un album bis
sans intérêt ? Eh bien non, pas sans intérêt, même si la recette est
semblable. Et c’est justement là que Verdunkeln me bluffe, car leur musique si
particulière me happe à chaque fois. Je me laisse embarquer par ses arpèges
froids et humides, tellement hypnotiques qu’ils en deviennent étonnamment
psychédéliques ; et me retrouve baignant dans une atmosphère brumeuse
difficilement descriptible, marquée par une dimension un peu baroque, un peu
bizarre, inquiétante sans être angoissante, sombre sans être désespérée pour
autant, presque apaisante même. Je crois que toute la force du groupe réside
dans cette capacité à nous mettre en contact avec des tableaux oniriques très
intimes, voyages aux confins de l’esprit, dans cette zone quasi mystique et
primaire où les notions de noir et de blanc, d’ombres et de lumières, se
confondent. N’est-ce pas d’ailleurs là le sens du titre, « Weder Licht
noch Schatten » signifiant quelque chose comme « ni lumière ni ombre » ?
L’artwork également semble nous amener vers cette confusion entre la figure de
la sainte, donneuse de vie, et la mort. C’est sans doute cette lecture des
choses qui me parle tant, cette idée d’un grand tout complexe où les choses ne
sont pas simplement binaires et opposées. Si seulement je comprenais vraiment
l’Allemand, peut-être pourrais-je saisir ce que Verdunkeln nous offre dans ses
textes.
Verdunkeln signe donc un nouveau petit chef d’œuvre
de black metal ambient, dont l’intensité et la profondeur n’ont rien à envier
aux premiers albums de Burzum, ceux-là mêmes qui constituent la référence de
base de mon expérience dans le domaine. J’irais même jusqu’à dire que
Verdunkeln poursuit avec brio le travail de Burzum, ce dernier ayant largement
périclité depuis (pas la peine de s’étendre sur le sujet…). Verdunkeln m’a
aussi beaucoup fait penser au Bergtatt d’Ulver avec cet album, du fait de sa
dimension onirique, comme si nous suivions une histoire, plus encore, comme si
nous étions dans celle-ci à contempler ce qui se passait. Le seul regret au
final est peut-être la pointe de linéarité qui reste après coup, l’homogénéité de
l’album ne laissant pas la place à une construction « logique » avec
un début et une fin, l’intensité constante entre les morceaux ne permettant pas
de mettre en relief un élément par rapport à un autre. C’est bien là le seul
défaut de cette pièce majeure qui trouvera sûrement à s’épanouir auprès des
auditeurs avec le temps.
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