Musique et tergiversation sur tout et rien, surtout rien.

mardi 28 février 2012

Kill The Thrill - Tellurique


Un mur de son, épais, massif et corrosif, ampli l'espace. Des sonorités étranges, distordues, comme déstructurées, comblent les moindres recoins. Les basses vrombissantes nous ancrent violemment au sol, tandis que les sons aigus triturent nos psychés, s'affairant en tout sens pour trouver la faille.

Noir. Ou blanc peut-être.

On oscille entre le noir d'une dépression qui ronge les pensées et le blanc d'un vide mortifère. On est comme pétrifié, absorbé par cette absurde création musicale, incompréhensible, qui renvoie à nos angoisses les plus névrotiques. A quoi bon ? Qu'est-ce qu'on fout là ? Quel sens prend tout cela ? Mais impossible de bouger. L'écoute se révèle une épreuve, et pourtant nous restons de marbre, le regard hagard, dissolu par les sons qui se répandent et découvrent nos tourments intimes, réouvrant les plaies et nous forçant à les contempler, impuissant. On plane, sans doute, et pourtant, le plaisir n'est pas vraiment de mise. Un plaisir masochiste, peut-être, le plaisir d'être comme mis à nu, découvert, sans protection, nos abysses si bien protégés soudain découverts, nous rappelant leur infaillible présence.

La musique de Kill the Thrill évoque nos sociétés aliénantes et aliénées. Nous sommes happés par cette immense machine, si absurde qu’elle parait à la fois trop concrète et trop irréelle. Seuls espaces possibles d’existences, la brèche maintenue béante par nos doutes, ces insurmontables aussi salutaires que destructeurs. De frêles écarts aèrent la musique, instants d’apaisement, ou plutôt de fuite, morceau de bleu dans un ciel grisé, sourire à peine esquissé sur un morne visage de cet autre si lointain. Les sons tourbillonnent, se perdent, s’éparpillent, avant de rentrer violement en collision. Entre colère et abandon, rage et abattement, doute et espoir, internement et liberté, les émotions et sensations se brouillent, semblant presque mourir à force d’être aussi malmenées.

Nerfs à vif qui lâchent soudainement, surexcitation maniaque s’anéantissant et plongeant dans une abîme sans lumière, tout cela maintenu par un fil ténu qui s’effile sans jamais rompre : qu’y a-t-il de mieux à faire que de tuer le ressenti lorsque chaque éprouvé n’est qu’explosion, lorsque plus rien ne semble maintenir une distance salvatrice avec ce qui nous entoure ? Se couper des éprouver, maîtriser à l’extrême les valves émotives, quitte à en mourir, et ne rien faire d’autre que contempler, sans mots, sans rien, de par des yeux avides de vides.

Cet album n’est ni noir, ni blanc. Il n’y a pas plus d’espoir que de désespoir, il n’y a même ni l’un ni l’autre. Ce n’est qu’un constat, une vision, une existence dépeinte au travers de quasi non-sensations. Violence de sentiments avortés, d’espoirs annihilés, Tellurique est un cri lancé depuis les tréfonds d’une âme tourmentée, un appel à en finir qui n’attend pas de réponse, une tentative d’explication qui ne trouvera en guise de réponse que des échos d’absence, dont la présence rend plus insupportable encore l’énigme de l’existence. « Kill The Thrill », seule réponse à cet insondable mystère, cristallisant le paradoxe de nos sociétés modernes où l’existence ne peut se déployer que dans une négation même de celle-ci.
Aussi rude que la lecture d’un bouquin de psychopathologie où notre normalité vacille face à l’énoncé des bords d’une pathologie pas si lointaine, aussi fou qu’une œuvre philosophique corrosive interrogeant le sens de nos repères existentiels, Tellurique est à n’en point douter une remise en question de ces croyances personnelles profondes qui nous définissent et tentent de nous maintenir dans l’illusion d’une logique de notre existence.

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