Musique et tergiversation sur tout et rien, surtout rien.

jeudi 3 mai 2012

Bongripper - Hate Ashbury


Bongripper est une formation relativement récente (2005), tout droit venue de Chicago, et qui propose déjà pas moins de cinq albums dans leur discographie. Signalons à titre d’exemple le dernier en date, Satan Worshipping Doom, excellent stoner/sludge doom aux riffs aussi abrupts que pachydermiques. Mais si je m’installe sur mon clavier aujourd’hui, ce n’est pas pour vanter les bienfaits du petit dernier (qui date quand même de 2010…) mais plutôt pour explorer un peu la discographie du groupe, qui se révèle être un parcours musicale étrange. Non qu’il soit balbutiant, mais plutôt qu’il s’épanche sans honte sur des styles biens différents.

Pour preuve, ce Hate Ashbury, sorti en 2008, qui n’a rien à voir avec un album de stoner doom qui enchainerait des riffs démentiels et heavy as hell. Au contraire…

Tout commence par une intro calme, presque posée si ce n’est l’humeur un peu sombre qui darde le bout de ses crocs. Une lente, très lente montée en puissance qui s’achève tranquillement, sans sursaut, sans explosion, presque insidieusement, par un enchevêtrement de saturations et bruits quasi disgracieux.  Et puis bam, ça enchaîne avec du gros riff, au son bien typé stoner, mais pourtant très froids, mécaniques, sans âmes. Quelques sursauts de mélodies parviennent à s’instaurer, avant de rapidement sombrer dans une humeur poisseuse et nostalgique.

Bongripper propose ici une sorte d’album concept qui ne dit pas son nom, en proposant un album homogène, presque comme une bande son de film. Un film qui serait glauque et malsain, bizarre, à la fois très réaliste et en même temps halluciné. Il n’y a qu’à voir la pochette, avec cet homme au masque de lapin, qui se tient immobile, devant une tombée de nuit inquiétante. On pense à Gummo, ce fameux film sur la vie quotidienne des bouseux américains, pas les rednecks de base tel qu’on se les caricature, non, plutôt la vie du bas peuple, sans argent, sans désir, sans rêve, embourbé dans la crasse, les dettes, les fantasmes bizarres, les pulsions incontrôlables, la drogue et l’alcool ; bref, une sorte de folie ordinaire.

Bruitiste, c’est le parti pris de cet album, où la notion de riff semble presque disparaître, comme si le propos du groupe se noyait sous une tonne d’effets décadents, annihilant toute once de mouvement et d’envolée de l’âme. Ici, tout colle à la peau, comme un plastique qui vous aurait brûlé sur le visage ; tout est rongé, sans espoir. Il n’y a pas non plus de tristesse ou de mélancolie, les sentiments sont quasiment inexistants, sauf quand une mélodie tente vainement de s’extirper des méandres du chaos, oscillant entre puissance et nostalgie, avant de choir à nouveau sous un déluge de sonorités, happée par l’inévitable répétition. Le tout semble telle une toupie, tournant à l’infinie sur elle-même, le psychédélisme n’offrant comme refuge que l’angoisse et la paranoïa, dans une chambre salle ou traînent seringues et bouteilles vides.

Bongripper s’est donc offert le luxe de développer un propos personnel sur cet album, sans référence aux scènes pré-existantes et sans chercher à séduire les amateurs d’un « Hippie Killer » (deuxième album du groupe) largement plus facile d’accès. Hate Ashbury, c’est une sorte de petit cocktail explosif qui mélange drone, sludge, doom et noise, avec pour seul finalité l’abrutissement et la déchéance. Qui a dit que le psychédélisme était nécessairement positif ?

PS : à noter que l’album a été réédité il y a peu au format LP (cf. la pochette ci-dessous), a priori sans les parties dites « expérimentales ». Euh… hein ? Pour quoi faire ?