Musique et tergiversation sur tout et rien, surtout rien.

mardi 28 février 2012

Mars Red Sky - Mars Red Sky


Passé relativement inaperçu lors de sa sortie en Avril au format cd, le premier et merveilleux album de Mars Red Sky est quand même parvenu à se glisser à mes oreilles lors de sa sortie au format vinyle, fin 2011. Et quelle claque j’ai pris ! Précisons que le trio est français, ce qui n’est pas inutile quand on connaît la difficulté des groupes de l’hexagone à proposer quelque chose qui ne soit pas trop estampillé « français ». Mais attention, il ne s’agit pas ici de jouer son chauvin de base à supporter des groupes du coin sous le seul prétexte qu’ils sont justement du coin. Non, peut importe leur nationalité, ces gars auraient été australopithèque ou serbo-brésilien que je m’en serais contre-foutu avec force. Mais parlons peu, parlons bien : parlons musique.

Posée, Aérienne, contemplative, initiatique parfois, la musique de Mars Red Sky nourrit l’esprit comme elle l’apaise, elle nous emmène loin dans un univers halluciné mais ô combien distant de nos grises réalités. C’est bien simple, je n’avais pas écouté pareille musique depuis des lustres, au point que je commençais à douter qu’un groupe puisse un jour offrir ne serait-ce que le demi quart de la moitié de cet album. L’image qui me vient à l’instant est la suivante : le Jesu période de son premier album forniquant avec les gus des Black Angels. Tout y est, la distance au monde environnant et la sage résignation, couplés à l’esprit et les sonorités seventies.

Impossible de nier les faits objectifs : la production est à la hauteur de l’album. Le travail est impeccable, propre et net mais dans le seul optique de servir le propos musicale. Autrement dit, chaque sonorité a été travaillée pour suivre le fil rouge du groupe. Le fuzz est aussi absorbant que sale, à peine arrive-t-il qu’on se surprend à marcher dans un désert orangé sous un ciel quasi blanc. La basse est d’une profondeur parfaite pour discuter directement avec le corps, et couplée à certain riffs bien lourd on se croirait proche d’un Ufomammut, c'est-à-dire en communication directe avec le stoner le plus pure, là où la distorsion semble se faire spirituelle. Les solos sont à l’image de la musique, posés et hallucinogènes, contrastant avec la lourdeur des riffs et ouvrant ainsi une brèche, celle de l’imaginaire personnel, qui permet l’envol de la psyché. Enfin, saluons la voix, quasi divine, dans la plus pure tradition du psychédélisme, déclamant tranquillement ses textes : « You can find me there/Find me anytime/Floating in the air/Free at last ». Tout est dit.

Le seul regret au final est que le trip ne dure qu’une quarantaine de minutes. Difficile de rejoindre la course du réel ensuite : « Woke up too soon/Came down to fast ». Paroles issues du dernier morceau, celui-ci se faisant d’ailleurs plus sombre, symbole de l’inexorable descente, de l’inéluctable fin.

Cet album vous hantera, il habitera vos pensées, vos gestes même, il fera corps avec vous, vous offrant un regard nouveau, une distance salvatrice avec le monde. La musique de Mars Red Sky est d’une pureté incroyable, insoupçonnable même. Intemporelle ? Trop tôt pour le dire. Mais gageons que cet album, comme un bon cru, se bonifiera encore plus avec le temps, si c’est possible.

Huata - Atavist of mann

Malgré une sortie sans cesse retardée pour différentes raisons, notamment des problèmes de pressing, le premier album d’Huata a enfin vu le jour en ce début d’année. Avec leur premier ep « Open the Gates of Shambhala », les rennais avaient réussis à éveiller notre curiosité en proposant un stoner/sludge des familles fort appréciable. Qu’allait-il bien pouvoir nous servir par la suite, avec leur premier opus, et après nous avoir appâté avec un trailer qui en disait long sur leur orientation ?

La réponse ne tarde pas à se faire, une fois le vinyle calée sur la platine, car on a sans nul doute une des toutes meilleures sorties de 2012, tant l’album tape fort. D’emblée, on est emporté par un riff ultime, celui de Lord of the Flame, qui annonce de suite la couleur : non seulement ça riff dans la plus pure tradition du riff doom qui te fait headbanguer à t’en détacher le crâne, mais en plus le son t’écrase comme c’est pas permis, digne des Ufomammut ou d’Electric Wizard période Come my fanatics et Dopethrone. Et rien que pour ces deux éléments, cet album est monstrueux. C’est celui qu’on attendait depuis un petit moment, peut-être l’album qu’aurait du sortir Electric Wizard s’il n’avait pas changé de direction artistique entre temps.

Pourtant au fond, il n’y a rien de très nouveau là-dedans. Du son qui nous écrase comme si nous étions enterrés vivants, du riff qui te tabassent la cervelle, des ambiances impies et hérétiques dignes de Crowley et autres sorciers fou. Tout ça, on connaît. Et pourtant, Huata parvient à surprendre, à se rendre novateur et créatif, en réécrivant ce qui était déjà écrit et, surtout, en apportant un peu de sang neuf pour cette nouvelle orgie. Car oui, si Electric Wizard vient rapidement en tête, les bretons se détachent aisément de l’influence des anglais.

Avec Huata, on ne joue plus, le propos est plus profond, on sort des références aux délires Laveyen, aux films de série B et aux drogues rigolotes. Leurs propos évoquent plutôt le rapport de l’Homme au pouvoir et à la religion, les connaissances occultes comme outils de maîtrise sur l’être humain. La ligne directrice de l’album porte donc à la fois sur l’influence de croyances délirantes et hallucinées sur l’histoire, ainsi que sur la recherche éperdue de l’Homme d’une force, en l’occurrence « satanico-extra-terrestro-occulte », qui puisse le guider parmi les ténèbres de son présent et de son avenir.
Tout cela se fait néanmoins sans volonté de tenir un discours, quel qu’il soit. Pour tout dire, le propos n’est pas spécialement ce qu’on retient de la musique d’Huata, on reste plutôt scotché à l’ambiance de l’album. De leur propre aveu, le groupe n’oublie pas d’où il vient, c'est-à-dire autant le rock n’roll pour le second degré de la mise en scène (confère les tenues de scène et l’artwork de l’album) que le doom et le metal en général pour l’imaginaire particulier et la primauté absolu de la musique.

A ce titre, Huata nous délivre une musique mélangeant habilement le stoner doom, le sludge (jetez une oreille sur Operation Milstletoe et vous comprendrez de quoi je veux parler), voir même le drone dans les passages plus lents. L’orgue, récupéré dans une église bretonne, rajoute énormément à l’ambiance et vient renforcer l’aspect ésotérique des morceaux. La voix, enfin, a été particulièrement travaillée sur l’album pour être moins « râpeuse » que sur le premier album et sied d’avantage à une certaine diversité des compos, notamment en fait sur les passages plus ambient où la voix déclament quelques incantations du meilleure effet. Seul bémol au final, l’album manque sans doute d’un léger calibrage, les morceaux sont parfois un peu long et l’intensité s’égrène un brin. Ça reste minime, puisqu’il y a de toute façon toujours un riff pour nous faire repartir de plus belle.

Je vais sans aucun doute me répéter, mais Huata a signé là une perle du genre, dont l’intensité et la profondeur fera taire les mauvaises langues qui penseront avoir affaire à une enième version d’un satanisme mal réchauffé. Un bond monstrueux pour le groupe, à qui l’on souhaite la reconnaissance qu’il mérite.
Burn, baby, burn.

Revok - Grief is my new moniker


Rah c’ui-là, j’ai eu du mal. Franchement, je trouve qu’il n’est pas facile à appréhender. Après un « Bad book and empty pasts » très réussi, accrocheur et écorché, je m’attendais à un truc énorme avec la nouvelle galette de Revok. Et puis pffft, c’est tombé à plat à la première écoute. Pourtant pas de doute, y’a de l’idée, c’est carré et efficace, on poursuite le chemin entamée avec leur premier opus. Mais là, rien, pas de déclic, pas de sursaut. Vite, passons à autre chose.
Quelle belle illusion…
Après quelque temps, j’ai effectivement décidé de retester la chose tant je ne comprenais pas pourquoi, soudainement, plus rien ne me bottait dans la musique du groupe. Et puis j’ai compris. Un vulgaire mécanisme de défense, autruchien au possible, qui a consisté ici à faire le sourd pour ne pas entendre le propos de Revok.

Mais fort heureusement, mon masochisme me vaincra. Alors je me le suis ré-insufflé, jusqu’au bout, j’ai maintenu mes yeux ouverts, quitte à en chialer.
Insidieuse, voilà ce qu’est la musique de Revok. Servie comme une bouillie infâme d’une mauvaise cantoche, bruitiste et presque insupportable, le premier réflexe est naturellement de s’en distancer. Pourtant, en osant farfouiller dedans on se rend vite compte que cette bouillie est justement l’âme même de l’album. Ici, des morceaux de souvenirs tâchés, là des cadavres, ceux qui nous hantent chaque nuit et qui nous font nous réveiller en sueur. Bref, le constat amer d’une vie menée à la va-vite dans un monde où s’entrechoquent chaque jour des milliers d’illusions, une inconsistance de l’être fondamentale qui creusent le ciboulot autant qu’une mauvaise drogue à base de liquide batterie. Tout est là, au fond, tel un cliché polaroidique d’une situation absurde et moche ; le portrait d’une société malade, cancéreuse, où l’espoir est remplacé par l’illusion et les idées par les pulsions destructrices. Que reste-t-il alors ? Le cri, le bruit, l’agitation. En sommes, tout ce qui nous évite de nous confronter à notre petit bout de vide qui gagne sans cesse du terrain.

Ne nous méprenons pas, cet album n’est pas dépressif, il n’est pas empli d’une noire tristesse. Non, c’est plutôt gris, pas le gris de la résignation, plutôt le gris bêton des bâtiments surannés dans lesquels s’entassent des milliers d’âmes sombres tous les soirs, le gris du bitumes écrasés sans cesse, le gris d’un ciel nauséeux avant que ne gronde la tempête, le gris d’une crasse trop épaisse sur une vitre à travers laquelle ne perce que difficilement les rayons du soleil. Un gris sombre et épais, suintant autant de mélancolie que de rage.

Pas facile d’accès, c’ui-là, c’est sûr. Au fond, c’est un peu comme se regarder en face, dans le miroir, et oser établir un constat réaliste de notre situation. Balayé des rêves et illusions que reste-il ? Une face terne, anéantie par des nuits sans sommeil et des jours sans soleil, ruinée par des ruminements incessants, le tout accompagné d’un fatalisme aussi réaliste que destructeur. Revok, ou le miroir de votre petite déchéance quotidienne.

Monarch + Altar of Plagues + Seilman Bellinsky – La conserverie – Angers

Et voilà, fin du postage de masse d'anciennes chroniques. A partir de maintenant, il s'agira de sang frais.
Et pour débuter, je vous offre un petit retour sur la soirée du samedi 18 Février à la Conserverie, nouveau lieu récemment ouvert près d’Angers et plutôt DIY.

Je salue d’abord l’équipe pour avoir organiser ce concert : c’était « risqué », d’une part parce que sur Angers il est de notoriété public que les gens se bougent « difficilement » pour les concerts dans le coin, mais aussi parce que, il faut bien le dire, ce genre d’affiche est peu enclin à ramener du marsouin notoire.
En d’autres termes, seulement trente entrés ont été enregistrées. Tant mieux en un sens, nous n’étions pas serrés comme des sardines dans leur boîte et on a pu profiter du spectacle sans être gêné par tous ces zouaves qui d’un commun accord et sans m’en informer ont décidé de dépasser le mètre quatre vingt et de me boucher la vue. Non, ce soir pas de problème pour regarder le spectacle. En revanche, c’est un peu plus dommage pour les groupes, l’ambiance est toujours plus difficile à instaurer quand il y a peu de monde.
Dommage enfin, pour l’équipe, qui risque de ne pas pouvoir renouveler régulièrement ce genre d’affiche si elle ne rentre pas dans ses frais. J’espère tout de même qu’elle parviendra à développer la salle et à proposer régulièrement des concerts du genre, ce serait une excellente chose pour Angers et les groupes du coin.

Venons en au fait, et débutons avec Seilman Bellinsky. Apparemment, il s’agissait de leur troisième concert seulement, autant dire qu’il s’agissait là du début, même si leur prestation m’a parue tout à fait calée. Mon avis reste tout de même mitigé sur leur musique, à qui il manque un petit quelque chose pour réussir à instaurer et maintenir son ambiance. En somme, il s’agit d’une musique apaisée, calme, tout en arpège et tempo lent. J’ai pensé à du Dolorian pour les ambiances à la fois sombres et intimistes, puis aussi à du post-rock pour le côté un peu planant. Seul bémol : à mon goût, ça manquait d’envolées accrocheuses, rageuses ou non, qui seraient venues étoffer leur musique et diversifier leur répertoire. Car autant c’est accrocheur, autant on frôle un peu trop l’ennui et cela d’autant plus que les morceaux s’enchainent en stagnant dans un seul registre. Bref, intéressant mais sans doute le groupe a-t-il à développer son potentiel.

On enchaîne avec Altar of Plague, groupe de black atmosphérique Irlandais. Je connaissais déjà un peu et j’accroche plutôt pas mal à leur musique, envoûtante et franchement bien fichue, qui flirte avec la fleur du genre, de Darkspace (sans l’aspect astral) à Wolves in the Throne Room. Sur scène, le groupe a tout fait réussit à instaurer son ambiance, et pour tout dire, j’ai été agréablement surpris tant il y avait longtemps que je n’avais pas été à un concert. Rien de très objectif donc, je me suis juste laissé emporter par les guitares grésillantes et aériennes, accompagnées par une batterie efficace au blast dévastateur. A noter, le groupe à fait éteindre toute les lumières et à poser une simple lampe rouge sur le sol, ce qui a sans aucun doute contribué à instaurer une ambiance intimiste. Seul bémol : on aurait aimé un set un peu plus long. Tant pis, je me rattrape avec leur dernier album en date acheté sur place, Mammal, qui devrait d’ailleurs séduire les amateurs de black atmo…

Enfin, dernier groupe de la soirée, Monarch, que je n’avais jamais eu l’occasion de voir malgré leur récent passage à Nantes. Le temps d’un petit soundcheck et c’est parti, je ne dissimule même pas mon plaisir d’entendre ce son de guitare que j’affectionne particulièrement, si grave qu’il paraît n’être que vibration. La différence est d’ailleurs frappante, autant Altar of Plague a joué relativement fort (supportable sans bouchon d’oreille pour peu qu’on tolère les sifflements d’oreilles le lendemain), autant avec Monarch le son est littéralement corporel, ça tremble des pieds à la tête et je me suis demandé si la structure allait supporter un tel affront sonore. Heureusement, la Conserverie est un lieu plutôt isolé, et si ça peut être un inconvénient pour faire venir les gens au concert, c’est un avantage indéniable pour laisser aux groupes la possibilité d’exprimer leur son comme il se doit. Bref, pas de bouchon d’oreille là non plus pour profiter au maximum de cette distorsion physique.
Le groupe nous a proposé ici sa dernière fournée, à savoir leur album Omens. L’ambiance s’est faite celle d’une messe impie, j’ai été impressionné par l’entente et la cohésion des musiciens, qui semblaient ne faire qu’un pour nous insuffler leur bile. Le batteur frappait comme un mulet, le bassiste agitait le manche de sa basse comme s’il luttait contre des entités invisibles, à la limite de la rupture, les gestes étaient amples et accompagnaient la lourdeur des riffs. De son côté le guitariste enchainait les accords dont la lenteur n’avait d’égal que l’intensité du son.
Malheureusement, après quelque cris et incantations, Emilie, hurleuse du groupe, s’est retrouvée happée par une extinction de voix. Le show s’est donc finit sans les vocaux, ce qui enlève une part non négligeable de l’expérience Monarch. Toutefois, je me suis délecté jusqu’au bout des infra-basses et autres vibrations. Je me disais justement que le son est tellement énorme qu’on finit par abandonner la lutte, alors même qu’au départ on aurait plutôt tendance à vouloir en maîtriser quelque chose. Au final, c’est comme si nous nous retrouvions pris dans une épaisse substance visqueuse, incapable de se mouvoir, subissant l’assaut mortifère sans pouvoir sans défendre… mais étrangement non sans plaisir pour autant.

Fin du concert, je finis donc un peu plus sourd mais ravi de cette soirée. La configuration des lieux permettant une certaine proximité avec les artistes, j’en profite pour discuter avec Emilie, malgré son aphonie. J’ai été plutôt étonné d’apprendre que, pour elle, la création des morceaux de Monarch ne se faisait pas spécialement dans l’idée de développer un propos particulier, malgré que l’on puisse, à l’écoute des albums, sentir un fil conducteur dans leur évolution. Ce qui dirige leur trame, c’est d’abord le plaisir à jouer ensemble, la volonté de faire quelque chose qu’ils n’ont pas encore fait pour ne pas faire un album « bis », et puis la recherche de compromis entre celui qui voudrait faire un truc plus drone et celui qui voudrait mettre plus d’harmonie dans la musique. Elle m’a renvoyé vers leur guitariste pour avoir un autre avis quant aux fils conducteurs de Monarch, mais je n’ai malheureusement pas eu le temps de deviser avec lui.
A noter que leur dernier album, Omens, a été enregistré relativement vite, puisqu’à une époque Monarch était éparpillé aux quatre coins du monde (France, Canada, Etats-Unis et Australie). De fait, ils ont du enregistrer l’album pendant une tournée, en ayant assez peu de temps pour la composition. Pour Emilie, l’expérience a été plutôt concluante car l’urgence a permis d’éviter de se focaliser sur des détails inutiles. Je me demandais aussi comment il faisait pour répéter, vu le genre de musique qu’ils pratiquent. Eh bien apparemment, ils ne répètent pas, ils se calent lors des premières dates des tournées.
Petite anecdote pour terminer : Monarch a désormais deux guitaristes, ce qui s’entend sur leur dernier album d’ailleurs. Il était prévu que ce guitariste se joigne à eux pour la tournée. Quand ils ont vu qu’Altar of Plague voulait jouer avec eux, ils les ont accepté, pensant qu’ils n’étaient que trois. Manque de bol, ils sont bien quatre. Il a donc fallu retirer un membre de Monarch pour que tout le monde puisse tenir dans le tour bus. C’est toujours intéressant de rappeler que ce genre de tourné tiens parfois à pas grand-chose, d’une part, mais aussi que les musiciens doivent aussi accepter des conditions parfois un peu limites lors des tournées, tout ça pour nous offrir leur prestation. Mais je m’égare.

En conclusion, une très bonne soirée pour moi, un grand merci à la Conserverie pour nous avoir proposé ça, en espérant qu’ils y aient plus de monde la prochaine fois !

PS : pas de photos, car je n'ai pas d'appareil. Il y en a quelques unes sur le site de La Conserverie

Ufomammut - Snailking

Quatre ans après leur premier voyage intergalactique, les trois compères d’Ufomammut revinrent pour nous emporter de nouveau dans les confins inconnus de l’espace intersidérale. Quatre années d’une lente maturation, passées à affiner les moindres petits sons, à expérimenter tout sorte de saturation au-delà des limites du pensable, à affûter ses instruments avec de la pierre lunaire, à bouffer du champi astral et gober de l’acide plutonien, à voyager loin, très loin dans l’univers.

Et de ce voyage, le mammouth stellaire nous a ramené une petite compilation martelée sur vinyle avec autant de puissance qu’une fusée au décollage. Parler de fuzz avec cet album est un pléonasme, c’est tellement énorme que ça en est indescriptible, ça prends directement aux trippes et ça vous vibrationne le tout sans retenue, ça fait trembler les mûrs, ça crâme la peau et le cerveau, et bien sûr, ça vous éclate les oreilles. La basse ronde claque avant d’entrer en possession d’une terrible saturation qui craquèle les tympans à force de les faire bondir de vibrations en vibrations. Les riffs sont aussi monolithiques qu’épiques, parfaitement accompagnés par des tempos lancinants et hypnotiques, tandis que les cymbales résonnent en tous sens parmi l’espace sonore déjà pourtant bien rempli. Enfin, pendant qu’une voix de martien défoncé à coup de rail lunaire assène quelques hurlements d’arraché, une multitude de petits sons en tout genre, tellement dispersés qu’on croirait les halluciner, vient parachever le tableau en offrant à l’ensemble quelques éléments éparpillés dans les aires, contrastant avec la lourdeur mammouthesque des riffs.

Tout le géni de l’album réside dans la capacité à créer des boucles infernales sans fins, sorte de tourbillon cosmique, de trous noirs absorbant toutes les structures et tous les repères, les recrachant un instant pour les rebouffer juste après. Ça tourne sans cesse, à une vitesse à peine imaginable, si bien qu’on ne sait plus si c’est du fuzz-riff qu’on entend ou juste le bruit du frottement du au voyage que l’on vient d’entamer. Voyage paranormal, sans départ ni arrivée, incroyablement hallucinogène, d’où l’on ne peut rien vraiment saisir, si ce n’est un maelstrom gigantesque dans lequel on s’enfonce avec bonheur. C’est à la fois une plongé dans un gouffre astral d’une noirceur quasi palpable et suintante, et paradoxalement aussi une envolé dans un grand rien d’une blancheur néantisante. Au final, on a l’impression d’être au bout de la corde d’un yoyo interstellaire, s’enroulant à l’infini autour d’un morceau de météorite, parcourant dans son chemin sinueux des courbes où l’espace et le temps se croisent, se confondent et s’annulent.

L’expérience est paroxystique, unique à chaque écoute, aussi déstabilisante que salvatrice. L’étonnement nous étreint même lorsque l’on finit par se rendre compte que l’on scotche sur le mouvement même du vinyle sur sa platine, cette hallucination de tourbillon continue ne venant que du simple mouvement concret de l’objet. De l’abstraction la plus pure à la concrétude la plus absolue, la boucle semble bouclée. Les échos s’amenuisent alors, les choses semblent se resituer dans une certaine normalité, il ne reste plus que cette impression d’être parti loin, très loin, dans les sphères les plus improbables qu’il puisse exister. Chef d’œuvre.

Ufomammut - Godlike Snake


Tout débute en ce début de 21ème siècle, alors que la planète se voit peu à peu rongée par l’Homme et ses vices. L’humanité ayant perdu son chemin (à moins qu’elle ne l’ait même jamais trouvé) et semblant s’enfoncer dans les limbes d’une Absurdité toujours plus saillante, il fallait bien s’attendre à ce que le ciel nous vienne en aide… Et ce fut bien de là-haut qu’arriva la libération, en provenance directe des étoiles.

C’est dans les régions montagneuses du Piedmont qu’atterrit une de ces étranges machines couramment désigné par le terme d’Objet Volant Non Identifié. Lorsque l’engin infernal eût tu ses moteurs, il pu alors se faire entendre d’étranges sonorités, directement issues des entrailles de la bête. Les vibrations furent telles que tous ceux se trouvant aux alentours furent immédiatement hypnotisés par ces hymnes répétitifs. Quelques curieux, déjà trop fous pour se contenter des étrangetés perceptibles au-dehors, se rendirent près de l’engin. A peine furent-ils arrivés qu’une trappe s’ouvrit, laissant des volutes de fumée s’échapper et se répandre tant insidieusement parmi les arbres impassibles que paisiblement dans les airs. Les lumières, toutes plus étranges les unes que les autres, attirèrent inexorablement nos curieux à bord de l’étrange machine.

Le choc opéra d’un coup et fut sans appel, car pénétrer cette entre brumeuse fut une sorte de non-retour pour leurs âmes désormais corrompues. Une sphère nouvelle se dévoila à eux, où les repères habituels fondaient face à l’intensité des sensations incroyables qu’offrait l’endroit. Tout n’était que sons, lumières et fumée. Tout semblait instable, inversé, paradoxal, contigu et pourtant distant, tout bougeait, rien n’était perceptible précisément mais l’ensemble participait d’un éprouvé global quasi ultime. Des sons pachydermiques emplissaient l’espace, aussi massifs que cramés, pareil à un énorme astéroïde fonçant à travers le vide intergalactique. Une multitude de sonorités parsemées ici et là venaient colmater les brèches, conférant à la symphonie des airs d’envol mystique insaisissable. Il se put bien d’ailleurs que l’OVNI décolla durant la durée indéterminée de cette expérience. Le temps semblait se distordre, parfois s’allongeant, laissant entrevoir de très courts interstices de vides, parfois au contraire semblant accélérer aux limites du possible. La fumée et les jeux de couleurs irréelles brouillaient définitivement tout repère, ne laissant aucun rationalisme tenter d’appréhender la chose insaisissable à l’origine de cette incantation psychédélique.

Lorsqu’enfin le chaos sembla s’apaiser, trois ombres aux contours mal définis apparurent dans la fumée tout juste dissipée. Entourées d’engins divers, tout semblait émaner de ces entités d’outre-espace. Des substances fongoïdes jonchaient le sol près de ce qui semblait être à la fois la base de leur être et des systèmes électroniques biduliques emplis de boutons et autres lampes hystériques. Les trois choses manipulaient sans vergogne d’étranges objets, sans qu’il ne soit possible de dire s’il s’agissait d’une partie d’eux-mêmes ou d’objets incantatoires. Des énormes boîtes vertes se tenant derrière eux sortait une fumée épaisse et c’est sans nul doute de ces appareils monolithiques qu’émanaient toutes ces vibrations colossales.

L’histoire s’arrête ici. Les curieux furent retrouvés errant, à demi-conscient, suppliant pour quelques grammes de poussières d’étoiles et jurant de retourner dans les galaxies acidifiées ou l’espace et le temps prennent des formes si particulières. Personne ne su vraiment ce qui avait bien pu se dérouler ce jour là, comme si une pause s’était opérée dans l’entière dimension du réel. Les trois ombres ne furent jamais recroisées, et traînent certainement quelque part, dans des dimensions autres, près des vallées où la psyché s’enfume et croise les plus improbables choses que l’on ne puisse jamais nommer. Seule trace laissée sur notre planète, cet objet circulaire noir, frappé du sceau du mammouth stellaire, et qui, usé avec les instruments nécessaires à son déchiffrage, permet de retenter encore et encore l’expérience…

Hjarnidaudi - PsykoStareVoid



Un an après la réédition du premier album, l’étrange entité qu’incarne Hjarnidaudi nous revient, en ce début d'automne, plus atroce que jamais, toujours paré à nous asséner des pires tourments. Signé sur le label français MusicFearSatan pour cet album, je dois dire que je l’attendais avec une certaine impatience.

La première chose qui frappe est l’absence de vocaux, puisque ce qui a amené à la postérité musicale le combo est du à la pose de vocaux par le vocaliste de Shining, sur le premier album, qui s’est ainsi vu infligé, en plus d’une réédition, une promotion digne de ce nom. Mais bien évidemment, le deuxième opus poursuit sa route sans l’appui commercial que représente forcément la présence du Sieur Kvarforth (non point que cela lui soit reprochable néanmoins). On se trouve ainsi en présence d’un objet massif, pachyderme de près de trois quart d’heures, imposant ses sonorités distordues et son ambiance mortifère sans la moindre once d’humanité.

Notons de suite que l’album a été composé en même temps, dans le mois suivant pour ainsi dire, que le premier album « Pain.Noise.March ». On en reconnaît d'ailleurs les sonorités, la construction même de certaine partie, notamment cette monté en puissance si caractéristique qui explose dans un maelstrom de distorsion complètement subversive (morceau IV). Autant le dire tout de suite, la continuité entre les deux albums est quasi évidente, si ce n’est l’absence de vocaux. On pourrait même penser à un B-side, tellement les morceaux auraient pu être présents sur le premier opus. On reconnaît aisément les sons aigus et défigurés proposant leurs mélodies infâmes, ces riffs de fond qui construisent un mur aussi noir que la nuit, et ces tempos hors du temps, imposant une rythmique infernale, martiale, hypnotique.

Faut-il pour autant n’y voir qu’un succédané du premier album ? Loin s’en faut ! Car chaque morceau de Hjarnidaudi est une nouvelle pièce de l’horreur Suprême, nouvelle pièce d’une construction horrifique kaléidoscopique, nouvelle avancée dans une brume toujours plus épaisse, toujours plus sombre, toujours plus insondable, mais pourtant toujours aussi dérangeante.
La musique de Hjarnidaudi est étrange. Plus encore, elle personnifie l’Etrange. Quand tous les liens se disloquent, quand le sens s'effondre et fond, alors la musique prend toute son envergure. L'a-musicalité au service de l'hallucination, des non-mélodies chaotiques dégoulinent dans vos oreilles, laissant une trace suinteuse dans vos pensées, rongeant tout espoir et brûlant toute volonté. Une musique horrifique, presque Lovecraftienne tant elle évoque les horreurs sans noms, l'Indicible, les chutes sans fins, les espaces temps si différent qu'ils semblent inimaginables, à la fois énormissimes et réduit à l'impalpable.

PsychoStareVoid approfondi encore d’avantage le fond des horreurs, l’album nous fait atteindre une dépression latente quasi évidente. Kvarforth l’avait certainement bien compris lorsqu’il a décidé de poser ses vocaux sur le premier album, tant ces derniers touchent à l’angoisse agonique dans sons vécu le plus paroxystique. Ici on touche à un degré plus poussé de l’Absurde, plus ignoble encore que la perte de sens, puisqu’imposant l’infamie du Non-sens comme réalité suprême. On touche ici au pivot des deux albums : si le premier nous fait renoncer au monde tel qu’il nous est présenté, le second impose la réalité de l’Absurde, de l’impitoyable et indubitable Chaos comme réalité, externe autant qu’interne. L’ordre des morceaux y contribue d’ailleurs avantageusement, le premier s’affirmant comme explosion des sens, le final s’énonçant comme un noyage des plus totales de toutes perceptions et toutes conceptions.

Hjarnidaudi signe ainsi sa second œuvre, si l’on omet de compter ses premières expériences sous le nom de Hlidolf. Le géniteur de ces œuvres aussi dantesques que déstructurées, Vidar Ermesjø, plus que d’être habité par un ou quelques démons, ré-invente le non-être, le vide, celui qui ronge notre cervelle à note insu. Hjarnidaudi est une expérience de perte de contact avec la réalité et avec soi-même, une absence dans son sens le plus pure, un trou noir absorbant dont on ne peut se défaire, une expérience unique de dépersonnalisation.

Hjarnidaudi - Pain.Noise.March


Hjarnidaudi. Un bien étrange nom pour une bien étrange identité. Emerger fin 2008 des abysses par le biais d’Avantgarde Music, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de bruit autour de cette sortie avant qu’elle ne se manifeste. Mais précisons de suite la particularité de l’opus ici présenté : il s’agit de la version incluant les vocaux du Sieur Kvarforth, alias la tête pensante de Shining. Il semble qu’une première version ait vu le jour sans les vocaux.

A la lecture de la présentation que nous fait Kvarforth de l’album, on est en droit de s’attendre à quelque chose d’étrange voire même d’indomptable. En effet, il semble que le compositeur derrière Hjarnidaudi soit plus ou moins proche de Kvarforth, et qu’il lui ait proposé ses entités sonores. C’est alors que Kvarforth eut l’idée d’apposer ses déchirements vocaux sur la musique préexistante. Voilà comment un projet quelconque qui n’était pas voué sans doute à grosse distribution émerge sur le devant de la scène, et je dois bien reconnaître que ce fut pour mon plus grand bonheur. Mais arrêtons là les présentations de contexte.

La musique de Hjarnidaudi, comme je l’ai déjà mentionné, est étrange. Trois morceaux pour plus de quarante minutes de musique, vous comprendrez que l’on a affaire ici à des compos qui se construisent dans le temps. On s’approche du doom dans l’atmosphère de perdition, dans les tempos, dans les riffs parfois. Pourtant, le caractère « aigu » de l’affaire semble nous en éloigner, exit les sons ultra bas. On a ici une pléiade de ce que j’appellerais des non-riffs, tant leur caractère est insolite, avec une sonorité particulière, aigu, malpropre, distordu. Le tout sonne extrêmement glauque et psychédélique. Et l’on pense ici à la deuxième partie du premier morceau, entre les gros riffs assassins et ces mélodies bizarroïdes au possible qui s’échelonnent les unes sur les autres pour donner finalement un maelström effrayant de noirceur. La fin du troisième morceau recoupe la même impression, avec une construction différente cela dit, puisque l’on se noie alors dans la distorsion. Le point commun de ces deux morceaux est sans aucun doute la monté en puissance proposée, avant l’explosion finale, cataclysmique et dévastatrice.

Les voix, dans tout cela, effectuées par le maître Kvarforth qui s’impose au monde du metal comme maître hurleur, de par sa capacité à générer des vocaux aussi puissants que dévastateurs, et pourtant variés. Ici la palette de style s’élargit, et l’on a le droit à un autre aspect de celui qu’on rencontre dans Shining ou encore Den Saakaldte : beaucoup de voix claires, parfois quasiment sur un mode incantatoire, parfois plus désespéré, parfois angoissé. Pas de véritables lyrics, il semble que cela soit venu comme ça, à l’écoute des morceaux. Quoi qu’il en soit ils accompagnent à merveille la musique.

Mais qu’en est-il de l’univers même qui se dégage de l’écoute d’un tel album ? A la description bien incomplète que j’ai tenté de présenter ici, vous vous douterez certainement qu’on ne deal pas avec des atmosphères communes. On touche aux sphères de l’indicible, on vogue dans un univers sans sens où les perceptions se trouvent bafouées, nous errons dans un monde où la raison s’effondre sans espoir de renaissance. C’est un délire musical auquel nous sommes soumis, délire négatif au possible où la réalité n’a plus de place. Une chute sans fin dans un gouffre sans fond, un insoutenable vide qui ravage l’esprit et ronge l’espoir, du noir et encore du noir, des sensations dans tous les sens qui se perdent et nous perdent, une dévastation subit sans autre possibilité. L’on a beau se battre, c’est peine perdue, toute force nous abandonne face à la puissance de cet atrocité, comme si cela était et ne devait pas être autre, malgré la douleur. De ce combat, seul la destruction vaincra.

Hjarnidaudi signe avec son premier album et l’interprétation vocale qu’en propose Kvarforth une excellente sortie, qui laisse présager du meilleur. Le genre de groupe que je ne découvre que trop peu souvent et qui me retourne la cervelle encore bien des écoutes après la découverte. Signe d’une puissance qui s’étend bien au-delà des sphères de la musicalité et de l’art, on touche ici à quelque chose de presque concret et en même temps de très abstrait, une concrétude effrayante dans l’expression de sentiment abstrait de par leur bizarrerie. Les riffs tourne encore bien après l’arrêt de la lecture, les sentiments imprègnent votre imaginaire d’images morbides, vous errez alors sans but, anéanti par cette nouvelle réalité.

Et quand on sait qu’un nouvel album est déjà prévu, PsychoStarVoid, on s’impatiente d’ors et déjà, notre cervelle infâme réclame sa dose de destruction.

Greymachine - Disconnected


Il arrive parfois que l’on tombe sur un album par inadvertance, aussi incongru que cela puisse paraître. Vous savez, ces galettes dont on croise le nom sur internet alors qu’on cherche autre chose, que l’on classe rapidement dans la catégorie « à écouter parce que machin du groupe Truc est dedans, pour voir ». Et puis on oublie. Mais parfois, par un hasard assez énorme, on se retrouve avec le son dans les oreilles. Et par un hasard encore plus improbable, ça nous renverse complètement le ciboulot.

C’est à peu près ce qui vient de m’arriver avec Greymachine, un des side-project de Justin Broadrick (Jesu, Godflesh), accompagné par Diarmuid Dalton (bassiste dans Jesu), Dave Cochrane et Aaron Turner (Isis). Entité musicale récente, Disconnected signe leur premier effort longue durée. Neuf morceaux oscillant entre 6 et 10 minutes, pour un total de plus d’une heure de musique, ou plutôt devrais-je dire de bruit, voilà l’objet massif qui nous est ainsi proposé.

Il faut cependant très peu de temps pour être happé par l’immense mécanique infernal de Greymachine. Dès les premières minutes à vrai dire, on est définitivement soumis, pour peu que les sons triturés ne vous effrayent pas. La musique de Greymachine rappellera sans aucun doute aux connaisseurs la musique de Godflesh (qui m’est toujours inconnue à l’heure actuelle, n’ayant trouvé assez de temps dans mon espace réalité pour y remédier). Musique industrielle à n’en point douter, on flirt cependant aisément avec d’autres styles, de la noise agressive vers des éléments plus posés, typés post-rock (influence évidente de Jesu), mais aussi des éléments doom de par la lourdeur de la musique, disons drone histoire de donner une idée, mais aussi limite parfois stoner/sludge (sisi, en cherchant bien, le titre Wasted en est la preuve).

Avec un nom comme Greymachine, inutile de préciser que la part belle est faite aux machines et effets en tout genre. La distorsion est sur-présente du début à la fin, les rares vocaux de Aaron sont trafiqués au possible, les tempos sont hypnotiques, les guitares sont cradingues, la basse plus encore, épaisse et grasse tout en parvenant à maintenir une atmosphère froide et distante. Il m’a même semblé croiser des espèce de solos, complètement hallucinés puisque noyés sous une tonne d’effets plus étranges les uns que les autres.

L’univers de Greymachine est étrange, et il semble bien difficile de rendre en mot ces vécues que l’on ressent, que l’on palpe, que l’on hallucine sans doute aussi. Le sympathique mélange décrit un peu plus haut, corrosif et toxique, mais bizarrement également aérien et détaché, ne peut produire autre chose que du délire. On se perd dans un monde de décibels et de sensations en tout genre, noyé sous des masses de matières visqueuses, c’est à la fois brûlant et d’une froideur extrême, notre esprit est martelé sans cesse, la réalité se dissout dangereusement, elle crépite et prend des allures de cauchemars, le Sens disparaît et l’Absurde règne en maître. Apocalyptique, ritualistique, industriel, noir, étouffant, hypnotique, abstrait, psychédélique, voilà tout ce qu’est ce Disconnected.

Un premier album tout à fait réussi à mon sens, qui plaira certainement aux amateurs d’expérimentations auditives douloureuses comme aux habitués de la destructuration sonore.

Overmars - Born Again

Overmars. Une entité musicale à la limite du chaos. Déjà quelques années d’existences, aussi étrange que cela puisse paraître d’ailleurs… Comment survivre à un assaut sonore de ce groupe ? Comment les géniteurs de pareil chaos arrive-t-il à vivre avec pareilles tortures tourmentant leurs âmes ? Voilà une question à laquelle il paraît impossible de répondre, Overmars est là, pour notre plus grand malheur, et c’est tant mieux.

Une nouvelle naissance de 39 minutes donc, un seul morceau, autant dire qu’on va morfler. On est là pour ça, on s’est déjà envoyé le premier jet dans la gueule aussi souvent que cela fut nécessaire pour nous rappeler combien misérable était cette existence, combien pathétique était notre être. Ça démarre sans intro, pas besoin de prendre des gants, un coup direct dans la gueule histoire de bien montrer à quoi on a affaire. Un son de basse bien glauque, appuyé par un gros son de gratte bien puissant, le tout accompagné par une batterie martelant lentement ses fûts, histoire de faire durer cette lente agonie. Et puis ces voix, masculines et féminines, mais toujours torturées, en proie aux plus terribles malaises. Les quelques pseudos-mélodies ne nous font pas croire en un quelconque espoir, non, il n’y a rien d’autre que de la noirceur chez Overmars, tout est douleur et souffrance.

Ça gueule, ça écorche, ça rape la cervelle, ça défonce à coup de latte dans la tronche. Ouais, ça fait pas semblant, ça tape dans un mélange de gros hardcore qui tâche et de doom qui arrache, autant dire du sludge, mais avec un feeling putain de malsain, c’est un viol auditif, que dis-je ? C’est un viol mental, au moins. On est là pour en baver, on bouffe de la merde, il n’y a pas de fin, c’est de la torture sans aucun sens, comme cette putain de vie.
De quel côté se trouve Overmars ? Du côté de celui qui tue où celui qui se fait tuer ? Celui qui pousse dans le vide ou celui qui tombe ? Les deux. Nous sommes tous en train de tomber dans un putain de gouffre sans fond, une angoisse sans limite qui explose à travers ce « Born Again », misérable espoir de renaissance à travers la chute. Overmars vous entraîne dans sa fin, sans savoir vraiment où tout cela s’arrêtera.

« … I can’t go lower. There is no under », voilà exactement ce que l’on ressent à travers cet opus. Si le précédent album était parsemé d’accalmie sonore laissant transparaître un semblant d’apaisement, ici tout est noir, tout espoir à disparu, il n’y a plus rien si ce n’est agonie et expérience terrifiante. Et pourtant, le titre de l’album laisse présager d’un espoir, même vague : espoir de renaître, de revivre, de ressentir quelque chose qui s’apparenterait à du positif, ou quelque chose comme ça en tout cas. Mais pour cela, il faut descendre, tout en bas, toucher le fond, se confronter à sa propre merdre, détruire tout ce que l’on sait et connaît, se détruire soi-même à la base. C’est à partir de là que peut-être quelque chose peut renaître. On ne peut construire sur de l’instable, ça finit toujours par se casser la gueule. Overmars l’a compris, et a entrepris de se détruire. Et Overmars à des couilles, il ne fait pas semblant, il se déchire la tronche et arrache sa peau, se tranche les veines, fait fondre ses neurones, brûle son coeur et son âme, pour qu’il ne reste rien, plus rien. Alors pourra renaître quelque chose. Une nouvelle naissance, un homme nouveau, de par la douleur, de par la peine, « everything is build upon sorrow » dirait Antaeus, jamais cette phrase m’a parue prendre autant sens qu’à travers ce Born Again.

Vous croyez avoir entendu les musiques les plus torturés et les plus maladives ? Tentez-vous donc ce « Born again ». Combien en reviendront ? Je veux dire, combien en reviendront vraiment ? Indéniablement, quelque chose en vous se casse après avoir subit pareil acharnement. Alors oui, certains d’entres vous continuerons à sourire, du moins il feront semblant, sourire factice qu’on s’impose à soi-même pour se convaincre que tout cela n’est qu’illusion. Overmars est un groupe malsain, le truc qu’on déteste parce qu’on adore au fond de soi, le truc qu’on déteste parce que ça fait écho à des choses en nous qu’on essaye de se cacher sans jamais vraiment y parvenir. Overmars sont des génies, ils détruisent tout sur leurs passages en ne faisant qu’exprimer leur propre chaos. Overmars un petit bijou de noirceur, une drogue destructive dès la première injection, une drogue qu’on ne veut jamais quitter, une drogue qui nous ravage et qui pourtant nous rappelle chaque fois qu’on tente de la fuir. Plus que jamais, « Destroy all dreamers who keep on dreaming »…

Kill The Thrill - Tellurique


Un mur de son, épais, massif et corrosif, ampli l'espace. Des sonorités étranges, distordues, comme déstructurées, comblent les moindres recoins. Les basses vrombissantes nous ancrent violemment au sol, tandis que les sons aigus triturent nos psychés, s'affairant en tout sens pour trouver la faille.

Noir. Ou blanc peut-être.

On oscille entre le noir d'une dépression qui ronge les pensées et le blanc d'un vide mortifère. On est comme pétrifié, absorbé par cette absurde création musicale, incompréhensible, qui renvoie à nos angoisses les plus névrotiques. A quoi bon ? Qu'est-ce qu'on fout là ? Quel sens prend tout cela ? Mais impossible de bouger. L'écoute se révèle une épreuve, et pourtant nous restons de marbre, le regard hagard, dissolu par les sons qui se répandent et découvrent nos tourments intimes, réouvrant les plaies et nous forçant à les contempler, impuissant. On plane, sans doute, et pourtant, le plaisir n'est pas vraiment de mise. Un plaisir masochiste, peut-être, le plaisir d'être comme mis à nu, découvert, sans protection, nos abysses si bien protégés soudain découverts, nous rappelant leur infaillible présence.

La musique de Kill the Thrill évoque nos sociétés aliénantes et aliénées. Nous sommes happés par cette immense machine, si absurde qu’elle parait à la fois trop concrète et trop irréelle. Seuls espaces possibles d’existences, la brèche maintenue béante par nos doutes, ces insurmontables aussi salutaires que destructeurs. De frêles écarts aèrent la musique, instants d’apaisement, ou plutôt de fuite, morceau de bleu dans un ciel grisé, sourire à peine esquissé sur un morne visage de cet autre si lointain. Les sons tourbillonnent, se perdent, s’éparpillent, avant de rentrer violement en collision. Entre colère et abandon, rage et abattement, doute et espoir, internement et liberté, les émotions et sensations se brouillent, semblant presque mourir à force d’être aussi malmenées.

Nerfs à vif qui lâchent soudainement, surexcitation maniaque s’anéantissant et plongeant dans une abîme sans lumière, tout cela maintenu par un fil ténu qui s’effile sans jamais rompre : qu’y a-t-il de mieux à faire que de tuer le ressenti lorsque chaque éprouvé n’est qu’explosion, lorsque plus rien ne semble maintenir une distance salvatrice avec ce qui nous entoure ? Se couper des éprouver, maîtriser à l’extrême les valves émotives, quitte à en mourir, et ne rien faire d’autre que contempler, sans mots, sans rien, de par des yeux avides de vides.

Cet album n’est ni noir, ni blanc. Il n’y a pas plus d’espoir que de désespoir, il n’y a même ni l’un ni l’autre. Ce n’est qu’un constat, une vision, une existence dépeinte au travers de quasi non-sensations. Violence de sentiments avortés, d’espoirs annihilés, Tellurique est un cri lancé depuis les tréfonds d’une âme tourmentée, un appel à en finir qui n’attend pas de réponse, une tentative d’explication qui ne trouvera en guise de réponse que des échos d’absence, dont la présence rend plus insupportable encore l’énigme de l’existence. « Kill The Thrill », seule réponse à cet insondable mystère, cristallisant le paradoxe de nos sociétés modernes où l’existence ne peut se déployer que dans une négation même de celle-ci.
Aussi rude que la lecture d’un bouquin de psychopathologie où notre normalité vacille face à l’énoncé des bords d’une pathologie pas si lointaine, aussi fou qu’une œuvre philosophique corrosive interrogeant le sens de nos repères existentiels, Tellurique est à n’en point douter une remise en question de ces croyances personnelles profondes qui nous définissent et tentent de nous maintenir dans l’illusion d’une logique de notre existence.

5ive - 5ive


5ive, ou comment faire fondre vos oreilles et vous donner des acouphènes pendant des semaines. Pour deux raisons. Premièrement, le degré d’appréciation est directement proportionnel à l’augmentation du volume, ce qui fait que plus on monte le son, plus on apprécie l’album, et donc plus on continue à augmenter les graduations sonores. Ensuite, parce que 5ive, c’est comme une drogue qui rendrait terriblement dépendant, on ne peut s’en passer et on se retrouve à l’écouter en boucle.

Le groupe se forme en 2000 à Boston, et sort en 2001 ce premier album auto-titré. Ils ne sont plus que deux dans le groupe, mais ont eu fut un temps un bassiste. Brèves présentations, mais il n’y a rien d’autre à dire en vérité, si ce n’est que le feu bassiste n’est autre que Jeff Caxide, bassiste d’Isis. Concentrons nous donc sur la musique…

Six morceaux pour 45 minutes, très peu de pause (quelques chants d’oiseaux ici, une intro légère là, ce genre de chose), et pour être franc, 45 minutes d’un mastodonte sonore qui ne laisse aucune poche d’oxygène dans ses compos. Clairement enfoncé dans la scène stoner, avec ce son sur-puissant et brûlant, on oscille néanmoins dangereusement vers le sludge et même le drone. Sludge pour le côté cradingue, rouleau compresseur ; drone pour le côté hypnotique, mur de son, les graves en avant. Le son est épais, les riffs sont épais, la basse est épaisse. C’est limite si on n’aperçoit pas le son, si on ne le palpe pas. Les riffs sont répétitifs, les changements subtils, favorisant l’aspect ritualistique de la musique. La batterie assène elle aussi un tempo répétitif, limite incantatoire avec son jeu de cymbale qui résonne sans cesse. Précisons enfin qu’il n’y a pas de voix. Et fort heureusement, car je ne vois pas trop où il aurait été possible de trouver de la place pour une voix dans tout ce capharnaüm.

La musique de ce 5ive est abstraite et psychédélique, c’est certain. Elle est sale et ardente, on a l’impression de se faire recouvrir de bitume des pieds à la tête, de nager dans un océan de décibels poisseuses. La cervelle grésille, comme brûlée par un soleil trop incandescent, les battements du cœur deviennent surpuissant et on se surprend à ressentir une psalmodie primaire dans notre être tout entier, quelque chose approchant des délires de sorciers complètement hallucinés, d’extase illuminée. 5ive, c’est aussi environ 2.8 grammes dans le sang, quand vous êtes encore conscient, mais que les sensations s’éveillent enfin en vous, que vous sentez le sang s’écouler dans vos veines, que l’ensemble de ce qui vous entoure semble participer d’un même mouvement. Un délire à l'acide surpuissant, un trip sans fin aux confins de la conscience, là où le sens des choses se transforme et transcende la psyché, là où on palpe du son, là où le corps n’existe plus et se laisse emporter au gré des flots.

Il n’y a pas grand-chose d’autre à ajouter. Cette galette est une expérience mystique et physique, tant ce que l’on ressent semble pouvoir être toucher du doigt tout en restant inexpliqué. 5ive, c’est ce genre d’album qui nous détache de la réalité lorsqu’on l’écoute, et qui prend forcément d’avantage de force lorsqu’on l’aborde dans un état favorisant le détachement. C’est ce genre d’albums corrosifs qui errent dans la masse du monde, mais qui pourtant semble s’approcher de quelque chose d’absolu. C’est ce genre d’album qu’on se dit avoir chercher depuis des années. C’est ce genre d’album pour lequel on se dit « c’est au moins pour ça que j’use mon existence sur cette foutu planète ». Ce genre d’album qu’il ne faut pas louper.

Urfaust - IX - Der Einsiedler


Urfaust semble être passé maître dans l’art de mettre en musique les vécus agonistiques les plus fous. Faisant suite au magistrale Drei Rituale Jenseits Des Kosmos, ce nouvel ep finit de donner au groupe une réputation à double tranchant, tant la musique ne peut laisser indifférente.

On retrouve les mêmes éléments que sur l’opus précédemment nommé, à savoir un tempo simpliste et hypnotique, martelant indéfiniment sa psalmodie funéraire, ainsi qu’un son issue d’un clavier toujours aussi bizarroïde et astral ou une guitare sur-saturée et complètement arrachée comme sur le deuxième morceaux. Enfin bien sûr, les vocaux qui nous avaient hantés sur le précédent ep reviennent poursuivre leur travail de sabotage mental, hurlant à en perdre haleine, criant à s’en rompre les cordes vocales, tentant de projeter tous ces tourments à l’extérieur. La simplicité des compositions n’a d’égale que leur profondeur et leur incroyable capacité à toucher le point le plus sensible de notre existence, la base même de notre identité, pour y révéler le vide qui y sévit et qui nous ronge petit à petit.

La musique d'Urfaust ne s'écoute pas. Elle brûle, ni plus ni moins, elle réduit à néant. Nous ne sommes plus rien, un vide existentielle nous habite, ampli de distorsions et de sons bizarroïdes, accentuant le délire et l'informe, favorisant l'Absurde.
Encore faut-il oser se brûler.
Encore faut-il oser se détruire.
Rien n'a de sens, si ce n'est cette auto-destruction qui nous hante et peuple les tréfonds de nos âmes malades. Non, rien n'a de sens. Tout s'effondre dans un chaos infernal, les décibels fondent sur l'esprit, brûlant notre existence. Nous nous absentons de nous-mêmes. Ressentons les échéances, l'espoir croulant, la chute, l'indéniable noirceur. Ressentir tout cela, émergeant du plus profond, insupportable trou noir tapis au fond de notre être, se rappelant violemment à nous. Une collusion quasi absolu, comme si tout finissait ce soir alors que rien n’a jamais commencé, la peur de mourir croisant celle de naître, la joie de se détruire croisant celle de se construire en un seul et même mouvement. Paradoxe existentielle insolvable que l’on tente tant bien que mal de camoufler de mille manières, la vérité finissant toujours par éclater en nous lacérant la chaire au passage, comme si rien n’était possible.

Qu’on rejette le groupe en bloc ou qu’on l’adule, la raison en est sans doute la même. Inutile d’en dire plus, à chacun de se confronter à ces horrifiques décibels et de préférer s’en éloigner ou au contraire choir dans le même gouffre que le groupe. Attention toutefois, car quoi qu’on en dise, toute chute est définitive. Une seule question persiste : à quand la même chose sur album ?

Urfaust - Drei Rituale jenseits des Kosmos

Etrange entité qu’est Urfaust, le genre de groupe inclassable qu’on ne sait jamais vraiment si on aime ou si on déteste. Après deux albums aussi étranges qu’improbables, Urfaust nous revient avec une nouvelle offrande, semblant directement venue du fond des abysses pour répandre sa noirceur. C’est Debemur Morti qui nous sort ce mcd, et l’on peut dire qu’ils ont vu juste.

Les deux premiers albums mélangeaient un black très raw, aux ambiances plutôt dépressives, avec quelques excursions dans des domaines presque folk à mon sens, ainsi que des compositions purement classique. La particularité du groupe réside cependant dans la voix, on imagine de suite le type ayant vigoureusement abusé de substances alcoolisées, si possible fortement, qui déclame son désarroi et sa solitude. Cette voix se scinde en deux, comme pour signifier le clivage de l’entité qui la scande, l’autre voix se rapprochant d’un cri à la Virkennes et autres hurleurs de même acabit.

Soyons clair, Urfaust a pris un tournant radical. Impossible de dire pour le moment s’il s’agit d’une parenthèse dans l’œuvre du groupe ou d’une nouvelle optique de démence. Peut-être s’agit-il aussi d’un acte de fin, car après avoir créé pareil chaos, il semble bien difficile de survivre. Chaos tant sur le plan de la musique que ce qu’elle procure. La musique se résume à une batterie psalmodiant un tempo répétitif et des espèces de riffs dont on ne sait pas trop s’il s’agit d’un son de gratte saturée ou d’un clavier bidouillé. Sur le premier titre on dirait un sample de vent trafiqué, quelque chose de la sorte. Sur le second titre, on peut reconnaître en fond un larsen, qui donne ce côté agressif à la musique, qui la rend violente, comme une longue lame froide enfoncée au plus profond de votre être. Et puis il y a ces petits passages ambient qui donnent toute cette atmosphère si inquiétante. Enfin, il y a cette voix…Parlons-en de cette voix… Vous aimez les voix torturées ? Les voix complètement arrachées que seul un dément pourrait oser crier ? Et bien vous êtes encore loin. C’est la voix des enfers, la voix de l’innommable. Le genre de voix dont la seule pensée suffit à faire trembler votre échine.

Que se passe-t-il durant ces 20 minutes contenu sur cette étrange galette ? On ne sait pas vraiment. Le temps semble s’effacer, tout comme l’espace. Une aura de noirceur s’étend à travers votre être, glaçant tout once d’espoir sur son passage. Dépression semble le maître mot du premier riff qui vous assaille, et restera le leitmotiv de cet assaut sonore. Et puis cette voix surgit d’on ne sait trop où. Mais impossible d’y échapper, tout semble tourbillonner dans une spirale infernale, il n’y a plus aucun repère. Les cris, ces ignobles cris, se répétant au travers de ces mélodies atrophiées, ne cessant jamais de triturer votre cervelle pourtant déjà quasiment annihilée, ces horribles cris toujours présents pour vous raboter la caboche. Une chute sans fin, une errance mentale aux confins de l’anéantissement. Et l’on arrive à ce dernier morceau, débutant sur un ignoble rire, effrayant au possible, démentiel. Un riff terminal, accompagné par cette voix oscillant entre colère, folie et désespoir. Et l’on s’échoue sur un son astral avant de percuter la réalité, à demi conscient, encore abasourdi par ce qui vient de se dérouler. Que s’est-il passé ? Je ne saurais vous le dire. A chaque écoute le même scénario se répète, comme une réalité qui s’ouvre à nos sens aveuglés, effrayante mais pourtant bien présente.

Urfaust a entrepri sa destruction depuis quelques années déjà, et souhaite avec ce mcd vous amener aussi bas que lui. Drei Rituale Jenseits Des Kosmos signe votre déchéance, il semble n’avoir été conçu que dans ce but. Bluffant.

Time to burn - Is.Land


Time to burn sort en 2007 son deuxième album, après un ep en 2004 et un premier effort longue durée nommé Starting Point. Je dois bien avouer que je n’ai pas eu l’occasion à ce jour d’écouter ces premières sorties, c’est chose à réparer dans l’avenir, car l’écoute de ce Is.Land aiguise la curiosité quant à ce qui le précède. Et vous savez quoi en plus ? C’est du « sang pour sang » français, ouep.

Tout commence par des nappes de guitares en distorsion sur fond d’ambient. Puis une explosion vient déchirer l’ensemble, une brèche dans laquelle on s’engouffre à corps perdu. Arpèges et cris. Larsen. La batterie amorce un tempo, puis la basse vrombit, le sol semble trembler et les murs s’effondrer, les guitares suivent le rythme imposé par des mélodies ravageuses et agonisantes. La voix surgit d’on ne sait trop où, complètement déchirée. D’emblée, nous voici dans le bain. Un coup de latte dans la gueule histoire de bien assommer l’auditeur et le laisser subir l’assaut ravageur.

Time to Burn fait dans le Post-core, ou le hardcore émotionnelle, peu importe. Ce que l’on peut dire est qu’il mélange parfaitement la hargne et la violence du hardcore avec l’émotion de… ben de je ne sais pas trop quoi en fait. Ça vient des tripes et c’est bien là l’essentiel. La musique est parfaitement calibrée, entre riffs ravagés et breaks dévastateurs, le tout parsemé de partie que l’on pourrait qualifier « d’ambient », des parties plus posées mais non moins étranges.
La batterie, avec son jeux de cymbales typiquement hardcore si je ne m’abuse, est parfaitement orchestrée, avec un son de caisse claire tout aussi hardcore, qui tape bien là où il faut quand il faut. La basse bourdonne et étouffe les perceptions, le rythme du cœur s’en trouvant carrément déstructuré. Les grattes assurent elles aussi, de par des riffs variés, tantôt presque mélancoliques, tantôt beaucoup plus étranges, et parfois aussi tout simplement offensives. Le son est le plus souvent saturé, donnant cet aspect fébrile à la musique, ce côté non calculé, simplement exutoire. Enfin, les voix sont très bonnes, que ce soit les hurlements d’écorchés à vif ou les quelques parties plus « parlées » (sur les morceaux 3, 7 et 10).

« Millions of thoughts collide into your brain
[…]
You want to escape yourself
Until you fall down
To lock inside your favourite place
Which smells evil »

La musique de Time to Burn exprime la rupture, l’implosion, l’impact avec la réalité. Le thème de la limite semble surgir tout au long de l’album, de par la structure même des morceaux et des compos de chaque instrument. Une tension est là, elle grouille dans les profondeurs et s’immisce petit à petit, grandissant sans vergogne, puis elle s’impose et finit par imposer son chaos, déstructurant la pensée et ne trouvant d’issu que dans l’explosion, la violence de l’agir. Le cœur bat à s’arracher de la poitrine, les nerfs s’aiguisent, le sang afflux au niveau des tempes, les dents grincent, les poings se serrent. L’écoute de l’album réveille vos colères et vos angoisses paroxystiques, vous donne envie de tout ravager, de tout faire s’effondrer, de propager le chaos partout en dehors de votre cervelle. Et c’est l’épuisement qui l’emporte après l’écoute de l’album, comme si on venait de se battre, comme s’il avait fallut lutter pour la survie, comme s’il avait fallut se retrancher dans ses dernières limites. Trois quarts d’heure d’une bataille infernale menée dans la peur de l’effondrement et la rage primaire de subsister. Une bataille mentale contre soi-même, au fond, la pire des batailles.

La France n’a décidément pas à rougir de ces groupes de post core. Que l’on pense à Overmars, Celeste ou Time to Burn, à chaque fois l’on frémit on pensant à leur musique. Une sincérité et une justesse dans l’expression du chaos, chacun ayant son style propre, mais réussissant néanmoins chaque fois à déstabiliser l’auditeur. Time To Burn signe ici un chef d’œuvre du genre, gardant toute sa créativité et imposant son propre style. Le groupe s’est depuis peu octroyé une pause dans sa carrière, pause qui semble malheureusement s’approcher d’un arrêt définitif… Dommage.

Reverence - Chamber of Divine Elaboration

Discrète entité dans le paysage black metal français, Reverence nous livre ici son second album, deux ans après un premier opus remarqué mais souffrant d’un manque d’homogénéité entre des parties très inspirées puis des passages un peu plus ennuyeux. Reverence a le mérite de suivre son évolution comme bon lui semble, sans se soucier des différents courants ou des conventions. Le résultat est une maturité largement palpable, et une capacité créatrice décuplée. Je m’étonne encore que l’album n’est pas fait plus de bruit que cela. Tout juste quelque ligne ici où là, et un petit 4,5 dans Metallian, qui montre ainsi les goûts étranges voir douteux de ce magazine.

Chamber of Divine Elaboration a été enregistré au Drudenhaus studio par un certain M. Xort. Le son est tout simplement excellent, tant au niveau de la qualité sonore que du rendu en rapport à l’ensemble de l’album. L’artwork a été soigneusement élaboré par David Cragne et représente parfaitement l’esprit du groupe : torturé et complexe, le tout sur des tons de couleurs rouge et noir.

D’un point de vue musical, Reverence continue d’évoluer dans un black metal plutôt lent, fortement teinté de touches industrielles. Pourtant, il n’y a rien à voir avec le premier album. Chaque titre a été minutieusement travaillé et possède donc sa propre identité. Pourtant, le tout semble réellement homogène, et l’on ne s’ennui pas durant ces 55 minutes. Comme pour les titres du split Dissociated Human Junction, on retrouve une superposition de gros riffs lourds, oscillant entre black et doom, des mélodies décharnées et dissonantes, et enfin quelques arpèges hypnotiques. A noter qu’on retrouve le tire Inner Phaze du split en question, dans une version quelque peu différente toutefois. L’autre particularité dans la conception des titres est l’ajout de sample à foison. Sample industrielle, voix diverses (totalitaire, pleurs), présence de violon, et autre sons effrayants. On trouve aussi certain mix un peu noise/électro, comme le début d’Infected Forms of Distance. La voix, enfin, ou devrais-je dire les voix puisque Kk de Trepalium vient pousser la chansonnette, est particulièrement réussi, bien plus expressive que par le passé j’ai trouvé, suffisamment mise en avant sans éclipser le reste. Ici la part belle est donnée aux variations, tantôt un chant clair comme sur « Infected Forms of Distance » par exemple, tantôt un chant intimiste très rocailleux qui n’est pas sans faire écho à la voix d’un certain Kvarforth.

Les ambiances dégagées sont oppressantes, tourmentées, plus encore que sur les précédents travaux du groupe, même si on a toujours senti chez I.Luciferia une attirance pour le mélancolique et le torturé. Cet album est ainsi le miroir de nos sociétés industrielles, de toutes ces souffrances engrangées en nous qui troublent impitoyablement l’esprit. Un abandon total à la misère mental, ou l’espoir est anéanti par un tourbillon hallucinant de négativité. La construction des titres est par ailleurs suffisamment fine pour laisser à l’auditeur le soin de faire abstraction de la musique, et laisser place à l’imaginaire modelé par les ambiances, d’où la puissance de l’album. Etrangement pourtant, cet album est plutôt facile d’accès, on accroche dès le départ, puis l’on découvre petit à petit toutes les subtilités de cette mécanique infernale.

Reverence signe clairement ici sa meilleure réalisation, et montre ainsi l’étendue de ces capacités. Un album fort et authentique, loin de toutes les productions aseptisées qui voient régulièrement le jour ; une musique noire et torturée, au fort relent industriel, que les connaisseurs seront apprécier à sa juste valeur, et que les simples amateurs apprécieront pour l’ambiance qu’il dégage.

lundi 27 février 2012

Tarantula Hawk - Untitled II


La « tarantula hawk » est une guêpe qui vit dans les déserts d’Amérique du Nord. Elle est appelée ainsi à cause de son attirance gustative pour les tarentules.

Mais Tarantula Hawk, c’est aussi une étrange entité de la scène stoner. Signé chez Neurot Recordings pour cet album, on ne sait pas vraiment si la bête est en activité ou pas… car cet album date déjà de pas mal d’années… dix ans déjà ! Un troisième album était prévu fut un temps, mais il semble que cet info soit plus être tombée aux oubliettes qu’autre chose…

Un premier album avait vu le jour en 2000, très axé sur les claviers. Je vous le dit franchement, l’intérêt de ce premier album est bien moindre que ce second, encore que. Ce n’est là qu’un avis personnel, mais ce second album va beaucoup plus loin. Un artwork léger, à l’image de la musique, très aériens. Cinq piste pour pas moins de quarante-cinq minutes. Aucun concept particulièrement développé : pas de titre d’album, pas de titre de piste. De la musique, purement. Je rajouterais même : simplement. Il est bon de voir des groupes s’adonner à la musique pour ce qu’elle est, une fuite de la réalité, un moyen de planer, un délire psychotique, sans chercher à la salir en y intégrant la connerie humaine par le biais de concepts flous et réducteurs.

Mais comment décrire la musique de Tarantula Hawk ? Comment ?!? Voilà là question qui me travaille à l’instant même où la deuxième chanson inflige à mon esprit un terrible voyage complètement délirant. Ceux qui ont l’album voient certainement de quoi je veux parler. Le morceau le plus fou, le plus hallucinant, le plus jusqu’au-boutiste dans un trip psychotique qu’il m’ait été donné d’entendre. Un pétage de plomb imposé, une spiral de folie. Soudain vous n’avez plus conscience de rien, vous ne vous sentez même pas partir, il n’y a que cette musique infernale qui vous triture la cervelle sans relâche…

Et tout cela à commencer dès le premier titre : un clavier qui semble jouer une note en continue diffuse une atmosphère post-apocalyptique. Puis les instruments explosent, ils n’y tiennent plus, une première agression qui laisse l’auditeur apeuré, presque paralysé. Puis tout s’arrête. L’angoisse… Puis cette basse vient s’insinuer subtilement en vous, ouvrant le passage à tous les autres instruments. C’est à ce moment là que vous vous rendez compte que vous n’avez plus le contrôle sur vous-même, tous les repères sont bouleversés. Sommes nous dans un cirque abandonné dont les musiciens sont tous devenus complètement fous ? Sommes nous dans un désert où un orchestre s’adonne à un rituel complètement en dehors du temps et de l’espace, à la fois planant, éthérée et psychédélique ? A vrai dire, je ne sais pas. Une chose est sûr : on est loin, très loin, détaché de toutes les futilités de ce monde.

Vous l’aurez sans doute compris, difficile de rester de marbre devant pareille musique. Qui plus est, l’absence de vocaux permet de se laisser complètement immerger dans le monde de Tarantula Hawk, et de vivre pleinement l’intensité de la musique. Difficile de décrire le reste. Et puis à quoi bon ? Tarantula Hawk est comme une drogue : même si on vous décrit les effets, le meilleur moyen pour comprendre est de tester.

Un chef d’œuvre comme il s’en fait trop peu.

Diapsiquir - Virus STN


Sueur. Alcool. Sang. Toxique. Vomi. Folie. Défécation. Viol. Distorsion. Douleur. Satan. Destruction.

En un mot : Diapsiquir.

Vous croyez encore en quelque chose vous ? Comme c’est mignon. Mais rassurez-vous, ça se soigne : injection quotidienne de ce Virus STN directe dans les veines, effets psychiques garantis dans la minute. Prescription conseillée : dose létal.

Alors Diapsiquir, c’est quoi ? On retrouve un des membres d’Arkhon Infaustus et Kickback, Toxik H., ce qui donne directe le ton. Pourtant, Diapsiquir n’a rien à voir avec ces deux groupes, musicalement et idéologiquement parlant (encore qu’on puisse en trouver des traces ici ou là). Mais si déjà avec Arkhon on atteignait des rives assez impressionnantes de violence, attendez-vous ici à bien pire. Diapsiquir existe depuis un petit moment déjà, deux démos rééditées il y a quelque temps sur une compilation, un album sobrement intitulé LSD (acronyme de Lubie Satanique Dépravé) puis ce Virus expédié sur notre planète pour la contaminer.

Mais parlons sérieusement. Plions-nous d’abord au rite du décorticage technique. Brièvement, car là n’est pas l’essentiel. Guitare, deux peut-être, basse, batterie, vocaux. Et puis pas mal de sample aussi. Voilà pour le gros.
Les voix sont complètement allumées, ça gueule, ça hurle, le plus souvent on pourrait même dire que ça parle d’ailleurs. On palpe d’assez près un chant typé punk, c’est-à dire vieux punk sale complètement déchiré qui assène ces vérités à quiconque approche d’un peu trop près, l’alpaguant pour l’insulter comme si ce pauvre gus était le seul responsable. Les textes portent sur différents thèmes de ce que l’on pourrait nommer déchéance humaine, c’est très cru (« je jouis dans ton cul ! »), mais au fond on sent aussi une souffrance latente franchement perceptible (« ça fait des années que je suis damné et condamné à souffrir et faire souffrir tout ça jusqu’au dernier. Soupir, je suis fatigué de toujours gueuler… ». Le summum étant certainement atteint avec le troisième morceau, horreur suprême, expression quasi pure du Malsain. Mais je vous laisse découvrir de quoi il s’agit…
Enfin, évoquons ces multiples samples disséminés le long de l’album et qui renforce le caractère bizarre et crade de l’album (hard-tek,musique classique, tronçonneuse, musique de film tel que Orange Mécanique et bien d’autres surprises encore).
Ensuite, précisons que le son est crade. Ben oui, pour exprimer la crasse, on ne fait pas dans le propre… Et c’est là d’ailleurs le génie de ce Virus STN, raison pour laquelle ne considérer que la technique n’a aucune pertinence ici sans prendre en compte le concept qu’elle vise à mettre en avant. Le son colle parfaitement à l’optique visée, malpropre, un peu suraiguë, les grattes ne vont jamais dans les graves, la batterie n’est pas assommante mais garde plutôt un côté assez « cheap ». Ça transpire, ça suinte presque concrètement. Et l’image qui s’impose pour chaque morceau est celle d’un enregistrement live, en direct. La force de l’album réside peut-être ici : le direct, le concret.

La musique de Diapsiquir est donc difficilement qualifiable, on ne peut la rattacher à un genre, pas seulement parce que ce serait réduire la création, mais aussi parce que c’est un genre à part entière. Du Metal dans ce qu’il a de plus sale et décadent. Nous vivons la chose telle qu’elle, il n’y a pas d’interprétation. Nous ne sommes pas dans la poésie ici, mais dans l’abjecte réalité du Réel, ce bloc impressionnant auquel nous nous confrontons chaque jour et que nous essayons de fuir par tous les moyens.

Tout ce que nous ne voulons pas voir, le Pire, le côté obscure de l’humanité, Diapsiquir nous le balance violemment à la gueule. Diapsiquir est Crasse. Il est Ignobilité. Il est Immondice. Il est Déchet. Au fond, Diapsiquir incarne l’Horreur pure. Mais le pire dans tous cela, c’est qu’il est bien réel, et que ce qu’il propose n’est rien d’autre que la réalité. La merde que l’on croise tous les jours sans s’en rendre compte, que l’on refuse pour se protéger. Le Toxique immonde qui ronge l’humain. Tout ce que Diapsiquir interprète, il le trouve dans la réalité de notre univers. Et c’est bien là que réside l’ignoble. S’il y a choc, c’est bien parce que l’on conçoit qu’au fond ce n’est pas Diapsiquir qui est ignoble, mais bien l’Homme lui-même.
Le ton est donné. Diapsiquir est immonde, parce qu’il interprète ici la face la plus noire de l’Homme. Au Diable les convenances semble-t-il dire ? Non, on va bien plus loin. Ici on ne choque pas pour s’amuser. On ne choque pas, d’ailleurs, on présente la réalité telle qu’elle est. Satan est une excuse, on invoque le Mal comme étant autre pour s’en protéger, pour au fond l’étouffer, c'est-à-dire étouffer notre propre Diable, celui qui se tiens enfermé dans une poche de pus au fond de notre inconscient.

Diapsiquir réveil tout cela, nous ne sommes plus dans des propos sublimés, dans une représentation symbolique d’un Satan encorné rugissant au milieu des flammes. Non, Diapsiquir convoque une sorte de vision moderne du Mal, et cela même si la description qu’il en donne existe depuis les débuts de l’humanité. Car ici réside le message de Diapsiquir : le Mal n’est pas simplement en chaque humanoïde. Il est le toxique qui ronge chaque tentative, chaque construction, chaque avancée. Il est la maladie qui attaque nos idées les plus pures et nos visions les plus inventives. Il est la pulsion mortifère qui étend petit à petit son chaos, dont le seul but est l’auto-destruction, l’anéantissement total, l’agonie suprême. Plus qu’une vision du mal moderne, Diapsiquir porte en lui l’auto-destruction de l’espèce humaine. C’est pour cela même qu’avec cet album, Diapsiquir atteint à mon sens le fond de son propos. C’est de la destruction pure et dure, du trauma à vif.

Neuf Morceaux pour un peu plus d’une cinquantaine de minutes. Mais le temps vous paraîtra une chose bien futile à l’écoute de cet album. Oh oui, ce dernier nécessite plus que l’idée de se laisser emporter par l’univers du groupe. Ici, il faut s’abandonner, abandonner l’Homme, détruire l’image que l’on a construit de l’humain, pour se confronter à tous ses vices, toutes ses horreurs. Et l’on part pour un voyage sans retour, car une fois confronté au Réel de l’Homme, plus rien ne permet de camoufler cette réalité vomitive.

Black Metal ? Bien trop réducteur… Destruction ? Pourquoi pas…. Absolu ? Mmh….
En fait….
« Le Metal. Nocif et pur. »
Rien d’autre.

Daturah - Reverie


Etrange entité qu’est Daturah. Ce nom ne vous dit rien ? La datura est une plante pouvant être utilisée comme une drogue, induisant un état de conscience comparable au delirium tremens, autrement dit un état confusionnel où l’individu est sujet à de véritables hallucinations (semblables à un début de psychose aigüe), qu’il ne peut distinguer de la réalité, tant leur aspect semble réel. Voilà qui introduit convenablement la musique de Daturah : quelque part entre la réalité et l’imaginaire.

Evoluant dans les sphères du post-rock, on ne sait que peu de choses sur le groupe, si ce n’est qu’ils sont six, qu’ils sont allemands, qu’ils existent depuis 2003, et qu’ils ont déjà à leur actif, en plus du présent album, un autre premier essai sobrement auto-titré datant de 2005. Qui dit post-rock, dit forcément atmosphères aériennes et envoûtantes. Oui mais voilà, depuis un bon moment déjà, le mouvement voit apparaître nombre de groupuscules émergeant sans grande originalité, où l’ennui domine plus que les sensations qu’on est en droit d’attendre lorsque l’on se procure un album du genre. Mais rassurez-vous tout de suite, ce Reverie porte à merveille son nom.

L’artwork est travaillé, tout en restant assez sobre, dans des tons marrons/jaunes rendant un aspect vieilli, comme de vieux prospectus un peu passés. Cinq morceaux pour une heure de musique, des compos qui prennent leur temps, des titres peu évocateur… Daturah semble ainsi jouer la carte du mystère, où plutôt devrais-je dire qu’il n’impose pas ses idées, il n’impose aucune piste pour interpréter sa musique, et c’est là chose très appréciable. On notera l’intérieur du livret et son travail graphique à l’opposé du travail externe : une sorte de construction en ferraille, complexe, minutieuse. Au final, on perçoit là les deux éléments de la musique même de Daturah : d’un côté la fuite et l’envol, de l’autre le travail minutieux qu’exige la musique, avec toujours cette noirceur en toile de fond.

Deux guitares, l’une pour que s’égrènent les notes, l’autre pour le mur de son si caractéristique du post-rock, avec également des passages plus rock voir quasi metal dans les montés en puissance. Une basse, parfois froide, parfois bien épaisse et saturée, une batterie aux jeux variés, ainsi qu’un synthé/sampler, viennent compléter l’ensemble. Le sixième membre s’occupe quant à lui du travail visuel sur scène. Le son est très propre, comme on peut s’en douter d’ailleurs ; le tout est bien mixé, aucun élément n’étant plus en avant qu’un autre quand il ne le faut. Daturah propose une musique instrumentale, ne vous attendez donc pas à voir se manifester une voix. Notons tout de même qu’émerge ici où là des samples de voix, ceux-ci restant épars et plutôt discret, prenant pleinement part à la création en elle-même.

Si je m’arrêtais là, je n’aurais encore rien dit de Daturah. Car effectivement jusqu’ici, rien ne laisse transparaître que l’on a ici une perle de post-rock, un joyau à des années lumières de ce que l’on peut trouver habituellement dans ce domaine. La musique de Daturah, si elle n’invente rien, pioche dans ce qui se fait de mieux pour réaliser sa propre alchimie et transformer le plomb en or. Chacun des cinq morceaux génère son propre monde pour créer ensembles un univers fait de rêves, d’envols, de ciel bleu, de nuits étoilées, de sentiments divers et variés.

Une tristesse se dégage nettement de l’album, une sombre toile de fond qui s’étend, comme une note de résignation, comme un bonheur que l’on sait inatteignable, une mélancolie poétique mirifique s’étendant d’un bout à l’autre de l’album. Et c’est bien là que Daturah frappe un grand coup : son savant mélange entre note dissolue typiquement post-rock, océan de calme et d’apaisement bercé par des mélodies fébriles et intenses, et montée en puissance très metal, d’une lourdeur fatidique et accablante, renforce la puissance de cette sensation et de la musique elle-même. On est alors submergé, emporté par une vague de sensations, un mælstrom d’émotions.

Les souvenirs abondent à l’écoute de ce voyage chimérique et l’on se surprend à s’abandonner, le regard perdu suivant la lente marche des nuages dans ce ciel si lointain. Le temps s’arrête et semble même disparaître, l’on disparaît soi-même et on se retrouve à penser à toutes ces choses nostalgiques auxquelles on s’interdit de penser d’habitude. Le monde paraît alors bien fade et futile, seule la musique semble mériter d’exister. Les décibels de Daturah sont magiques, elles ont en elles un pouvoir extraordinaire, celui de nous détacher de la réalité et de nous emmener ailleurs. Reverie, ai-je dit au départ, est un titre parfaitement choisit, et je le répète ici. Les pensées se succèdent au gré de notre imaginaire, on se laisse aller sans en saisir une plus qu’une autre, on se laisse emporter par le vague, le lointain, pour finalement ne plus jamais atterrir, du moins semble-t-il, après l’absorption de ce Datura(h).

En somme, le groupe n’invente rien. Mais il se sert à merveille des ingrédients à sa disposition pour nous emporter dans son coma musicale, pour créer un univers prenant qui nous transporte au loin dès les premières notes, vers un ailleurs inexistant que l’on rejoint par le biais de notre propre Reverie. Daturah signe ici un chef d’œuvre d’une majestuosité évidente, à la fois gigantesque et sans prétention aucune. Une merveille de musique intimiste, sans doute même, osons le dire, intemporel, voire a-temporel…

Daturah - Daturah

Après m’être envoyé régulièrement leur premier album dans la tête, Reverie, ma curiosité ne pu résister et c’est donc tout naturellement que la première démo des allemands de Daturah arriva par un quelconque jour de la fin Juillet dans ma boîte au lettre. Un sobre self-titred album, sorti par les soins du label de Chicago Graveface Records.

La présentation est un peu légère, une simple pochette en carton, sans livret, et pourtant on n’est loin ici d’une simple démo enregistrée et achevée à la hâte et dans l’empressement si souvent caractéristique des groupes émergents. Mais l’objet demeure respectable et l’on comprend que pour une première sortie on ne mette pas les plats dans les grands, même si musicalement, la qualité est là.
Pour ce qui est de l’artwork, il s’agit de branches d’arbres très compactées, étouffantes, une sensation de labyrinthe étroit, quelque chose de sinueux, tortueux. Mais l’on remarquera aussi le contraste entre le blanc et le noir, ce qui au final représente assez bien la musique proposée ici, la dualité entre l’enracinement et l’envol, j’y reviendrais plus tard.

Trois morceaux pour à peu près quarante-cinq minutes de musiques, on comprend de suite que les constructions sont longues, plus longues encore que sur l’album qui suivra. On ne sera d’ailleurs pas étonné de retrouver sur le longue durée quelques plans croisés sur la démo. Néanmoins, tout est déjà là, les lentes montées échelonnées avant l’envol à vitesse grand V et la sensation de voler à vive allure, loin, tout là-haut, dans une masse de nuage cotonneux, avant de redescendre lentement, virevoltant comme une feuille morte parmi les bourrasques de vents. Seule la dernière piste échappe à cette construction, et l’on se retrouve avec une dépressurisation violente, comme si d’un coup vous atterrissiez d’un voyage à plusieurs kilomètre de la terre, laissant en vous une étrange sensation de vide.

Pour ce qui est du son, on retrouve toutes ces notes cristallines sur lesquelles viennent se greffer basse, batterie, puis un mur de riff très metal, tout en restant assez peu agressif, jouant d’avantage sur une approche ambiant de la chose avec des envolées très puissantes. On trouve déjà quelques samples intelligemment disséminés, et pour ainsi dire un univers déjà parfaitement maîtrisé. Une particularité réside dans la sonorité de la basse du premier morceau, avec un gros son bien vibrant et épais, répétitif, hypnotique, que je ne crois pas avoir recroisé sur l’album, pourtant c’est loin d’être un défaut, le contraste entre la basse qui nous enfonce dans la terre et ces arpèges lointains et aérés est saisissant, et n’y est certainement pas pour rien dans les sensations qui se dégagent de l’album.

En effet, malgré qu’il s’agisse là de la première sortie pour le groupe, l’intensité de la musique est déjà énormissime, en particulier l’intensité du contraste, qui donne à la musique toute sa splendeur et toute sa sensibilité à fleur de peau, un contraste éclatant entre l’envie de s’enfoncer dans la terre et d’y rester inerte, et l’envie de légèreté, d’évaporation. On trouve également une nostalgie bien présente, un détachement profond des choses se fait ressentir, que l’on trouvera aussi sur Reverie, et c’est avec résignation que l’on réintègre la réalité.

Cette première démo n’était donc pas faite, semble-t-il, pour promouvoir d’éventuels talents prometteurs, mais plus simplement pour annoncer le véritable décollage du groupe. Les compos sont déjà tout à fait succulentes et imprègnent sans difficulté aucune notre mœlle moribonde. Pas la peine d’en dire plus, si vous avez aimé l’album, cette démo devrait satisfaire votre envie de voyage psychique.

Moss - Tombs of the blind Drugged


Les deux premiers albums du groupe m’avaient pourtant marqué, comme étant tout à fait réussit dans leur genre, à savoir un drone/sludge complètement mystique et abrasif. Les mythes chtoniens et autres horreurs aussi bizarres et obscures qu’insoupçonnées venaient parfaitement compléter ce tableau horrifique. J’avoue ne pas avoir regardé toutes les autres sorties du groupe et m’en être tenue aux albums principalement. Quoi qu’il en soit, c’est en 2009 que le groupe nous est revenu d’outre-espace avec l’ep Tombs Of The Blind Drugged, soit un an après leur effrayant Sub Templum.

Autant dire que l’écoute d’une telle chose se prépare : on préférera un caveau bien humide à une plage d’été sous un soleil couchant, ainsi que la compagnie des chauves souris et autres bêtes nocturnes à celle des catins de plage notoires, à moins qu’elles ne soient mortes. En somme, tout y était pour apprécier ce cru, d’un peu plus de 40 minutes quand même, en tenant compte d’une reprise de Discharge.

Soyons bref, car franchement, tout ça ne mérite pas qu’on s’y attarde. Pour tout dire, j’ai eu du mal à l’écouter en entier, j’ai même du me forcer à ne pas retourner sur les anciens albums. Ce que j’ai quand même fait, au final, car il fallait que je sois sûr : m’étais-je à l’époque laissé emporter pour la fougue de ma jeunesse ? Avais-je pris mes désirs pour une réalité en accordant à Moss une géniale capacité de torture musicale ? Avais-je osé dire du bien de Moss sans qu’il ne le mérite ? Et bien il ne semble pas. Car en effet, mes n-ièmes écoutes des albums m’ont laissés sur le même avis : ça fait fondre les oreilles, ça trou le cerveau, ça râpe le moral. Bref, c’est top.
Mais en ce qui concerne cet ep, on sent dès les premières notes qu’il manque quelque chose. Le groupe semble tourner en rond et avoir perdu l’âme qui animait leur créativité, on ne retrouve pas le truc qui faisait que la sauce prenait, la bougie de rituel qui illuminait la pièce d’une aura particulière. Là où dans Sub Templum on restait hypnotisé du début à la fin par cet assaut incroyablement noir et corrosif, là où tout le génie de Moss opérait pour nous triturer la cervelle, il n’y a plus aujourd’hui que des compositions léthargiques jouées par des zicos sous prozac.

Toute la subtilité du sludge et du drone, et donc par là-même, du drone/sludge pour les esthètes et joyeux drilles qui s’amusent à mélanger les deux, est de pouvoir jouer sans perdre le substrat de la musique, sans perdre l’auditeur dans des riffs inutiles. En somme, il s’agit de conserver une ambiance qui donne sens à la musique et qui fait qu’on peut écouter l’album en entier. Subtilité particulièrement délicate à mettre en place, tant le genre se veut austère et inaccessible. Et c’est sur le fil que je me tiens, entre d’une part un Moss créatif et accrocheur, développant des ambiances tout à fait noire qui nous tiennent en haleines sans une seule secondes de répit, et à l’inverse, un Moss apathique, qui a décidé de jouer du Moss, oubliant par là-même la raison qui les pousse à faire de la musique, et ce n’est pas la reprise de Discharge qui rendra un semblant d’intérêt à la chose. Mettez-moi une guitare entre les paluches, désaccordez moi ça de quelques tons, mettez à fond, apporter du whisky et je vais vous en faire du sludge, moi. Mais non, en fait, ça suffit pas.

Il est sans doute difficile de se renouveler dans un genre aussi extrême et aussi peu varié, ne laissant aucune place à l’ouverture musicale (sinon, ce n’est plus dans la même catégorie qu’ils évoluent), mais il ne sert à rien d’accorder un crédit particulier à cette sortie qui n’apporte pas une contribution suffisamment pertinente pour marquer le coup et pérenniser l’intérêt de pratiquer un art aussi difficile. On trouvera quand même sur la galette de quoi grailler et se remplir les conduits auditifs. Les voisins seront toujours ravis de vous avoir à côté de chez eux quand vous écouterez ça les soirs de pleine lune, et puis ça comblera un éventuel manque d’idée pour les instants où vous ne savez plus quoi écouter. En résumé, après deux excellents albums, cet ep est bof, franchement bof.