Musique et tergiversation sur tout et rien, surtout rien.

dimanche 26 février 2012

Jesu - Jesu

Jesu est typiquement le genre de groupe ovni qu’on ne voit que trop rarement émerger. Derrière ce nom se cache ni plus ni moins Justin Broadrick, nom qui doit forcément évoquer à certains Godflesh. Je n’effectuerais pas de comparaison entre les deux groupes, pour la simple et bonne raison que je n’ai jamais écouter Godflesh. Je compte réparer ce manque dès que possible, je rassure ceux qui se seraient indignés.

Jesu livre donc ici son premier album, cinq mois après son (excellent) premier ep. Huit morceaux, pour pas moins d’une heure et quart de musique. Ça peut paraître énorme, voir indigeste, pourtant non, le temps semble se distendre, s’étirer, voire même s’arrêter la durée de l’écoute. Niveau artwork, le sobre est de mise, mais sans être dénué d’originalité. La pochette en dit d’ailleurs bien plus que ce que l’on pourrait penser. Au fond, des bâtiments ; au milieu une rue. Et devant, semblant fuir tout cela, un individu marche, individu quelconque, l’humain moyen, si l’on peut dire. Le fait d’observer cela par une sorte de fente n’est pas anodin non plus, c’est une mise à distance. La musique de Jesu se propose donc de s’évader de notre monde, de fuir notre réalité. Peur importe où l’on va, ailleurs sera suffisant.

Qu’est donc Jesu musicalement? Je dirais un mélange de rock et de doom. Rock pour les mélodies simples et volatiles. Doom pour la lenteur des compos et la puissance du son. Le tout étant ultra planant. Un simple trio guitare-basse-batterie, accompagné d’une pléiade d’effet. Le tout emmené par la voix douce et calme de Justin Broadrick. Si certains groupes utilisent les effets à torts et à travers, Jesu parvient à les utiliser quasi parfaitement. On aime où on n’aime pas, mais force est de constater à l’écoute d’un tel album que les effets tiennent une place quasi centrale. Comment imaginer Jesu sans effet ? Impossible. La sur-présence de distorsion, noyant les mélodies sous un épais brouillard, n’est d’ailleurs pas sans faire penser au shoegaze, et le chant s’y rapporte également. Rien à voir avec le metal extrême me direz-vous, certes non, si ce n’est le fait de proposer une musique réellement troublante.

Ce Jesu requiert tout de même un certain investissement de la part de l’auditeur. Il faut pouvoir s’abandonner, se laisser perdre, car sans cela les compositions vous paraîtront d’une lenteur et d’une redondance quasiment mortel, et surtout sans aucun intérêt. Il serait bien dommage de s’arrêter ici, car Jesu possède selon moi bien du génie. Si les groupes atmosphériques sont tout de même nombreux, rares sont ceux qui possèdent cette capacité à nous faire s’évader. L’originalité de Jesu réside dans l’absence de point d’ancrage. La musique ne vous propose pas de vous emmener ici ou là, elle vous emmène Ailleurs, nulle part en quelque sorte, ce qui compte est de ne plus être dans notre horrible réalité.

Curiosité s’il en est bien une, le titre Man/Woman se détache étrangement du lot. Les septs autres morceaux nous proposent une musique aérienne, plutôt nostalgique et appelant à la rêverie. Man/Woman est quant à lui une agression pure et simple, une angoisse hautement déstabilisatrice. Une basse ronflante et redondante nous enfonce violement dans les entrailles de la terre, comme le rythme du cœur qui s’accélère. Le chanteur nous gueule dessus, burine notre cerveau, viole notre intégrité, comme ces pensées qui s’imposent parfois. Et puis quelques mélodies nous parviennent, complètement noyées, presque insaisissables et pourtant bien présentes, vague tentative d’oublier la douleur, de fuir le présent.

Les autres morceaux sont beaucoup moins agressifs, plus posés. Allongez-vous par terre, dans l’herbe ou n’importes où, avec un coin de ciel à observer, Puis contemplez l’imperceptible mais inébranlable mouvement des nuages. Déconnectez-vous de toute cette réalité humaine pour vous laisser emporter ailleurs, et ressentez l’effluve d’air qui caresse votre peau, la douce lumière qui vous fait plisser les yeux, la délicate chaleur qui vous enveloppe et vous apaise. Perdez-vous dans votre esprit, ne pensez même plus, inutile de se fixer aux idées, de s’accrocher à un quelconque détail. Le seul intérêt est l’Ailleurs, venez donc vous y perdre, définitivement.

Voilà un album qui ravira ceux qui aiment s’allonger tranquillement et ne rien faire d’autre que se laisser emporter par la musique. La tristesse qui se dégage est à la fois simple et sincère. Jesu est une négation de soi salvatrice, il est d’ailleurs étonnant de voir combien les choses et les idées paraissent distantes après l’écoute de cet album. Après tout, rien de très surprenant, cela fait une heure et quart que l’on s’est complètement déconnecté de tout ce qui existait, mise à part les décibels qui parvenaient à notre cerveau. De toute évidence, on en redemande, encore et toujours.

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